Éric Chevillard, L’Explosion de la tortue, 2019, paru aux Éditions de Minuit.
L’histoire ? C’est celle d’un roman intitulé L’Explosion de la tortue. Un homme tue Phoebe, sa tortue de Floride, d’un coup de pouce un peu violent. C’est un geste maladroit (certes…). Et le roman démarre avec les autojustifications, dénégations, aveux larmoyants d’usage. Entrecoupé d’une présentation d’un auteur totalement oublié dont il serait tentant de s’approprier la prose, du récit d’une rupture amoureuse, de vacances, de la disparition d’une ado et de médisances sur le compte du concierge et de beaucoup d'autres digressions.
Plus personne ne lit. L’Appel de la forêt est désormais lettre morte pour le caniche.
C’est un peu n’importe quoi ? Ici les paragraphes courts s’enchaînent, la mauvaise foi est érigée au rang d’art par un narrateur bavard, qui explore tous les tréfonds de la culpabilité et de l’hypocrisie.
Je recommande d’éviter une lecture trop intensive de ce roman : une heure, c’est trop long, le narrateur vous tape sur les nerfs et son verbiage vous semblera insupportable. Mais par tranches moyennes (20-30 minutes), c’est un délice. Les formules drôles et brillantes se succèdent, l’antiphrase alterne avec le jeu de mots de mauvais goût et avec l’ironie un peu sèche. Les métaphores sont tirées jusqu’à la corde. J’ai corné plein de pages !
Aucune tortue jamais ne s’est appelée Phoebe. Phoebe, c’est évidemment ridicule. Même pour une fille diaphane au poil rare, c’est difficile à porter. Mais alors, pour une tortue. Son aspect hémisphérique et minéral lui avait valu ce nom de lune. J’étais fier de ma trouvaille. Je me plaisais à lui supposer une face cachée. C’est pourtant moi qui possédais ce sombre revers, cette obtuse indifférence aux choses de ce monde qui m’allait être révélée.
B. Boutet de Monvel, Portrait du comte de Quinsonas, 1913, musée Boulogne Billancourt. |
Il n’est pas facile d’isoler des passages. L’humour est présent un peu partout, mais les trouvailles sont subtiles et méritent une lecture à voix haute. J’ai la sensation d’un auteur maniant la langue française avec souplesse, agilité et dextérité, comme un gymnaste. Un coup à droite et on se moque d’un cliché romanesque, un coup à gauche et vlan c’est la préciosité qui prend. Un humour qui conserve son quant-à-soi de bon aloi, sa réserve, sa tenue mais qui accroche tout ce qu’il trouve. Un roman comme un édifice de mots, tenus entre eux par les liens délicats de l’humour. Des passages où j’éclate de rire (le pou du pubis m’en est témoin). Car, ce détestable narrateur compte bien sur la complicité avec le lecteur.
La tortue élevée au rang d’héroïne tragique (encore que…).
Tantôt on s’élance, tantôt on se tapit, car on chasse l’élan et le tapir.
On meurt soi-même parfois sous la griffe des fauves.
(Sous les griffes d’un fauve plus fréquemment encore.)
On lave dans le ruisseau avant de la croquer la carotte sauvage.
Merci aux Éditions de Minuit et à Babelio pour cette lecture.
Chevillard sur le blog :
Défense de Prosper Brouillon (à lire de façon urgente).
Et là, IMMENSE FIERTÉ, je m'aperçois que j'ai lu ce roman de Chevillard avant Keisha. J'ai l'impression d'avoir réussi un exploit.
Je crois bien que c'est la première fois que je lis un article avec un temps de lecture ainsi prescrit ! Eviter donc la surabondance de bonnes choses :-)
RépondreSupprimerJe suis très directive ! Blague à part, ce serait dommage de gâcher un bon petit livre. Chevillard ne se lit pas comme Austen après tout.
SupprimerJe ne connais pas encore cet auteur, mais une récente chronique récemment entendue à la radio sur ce titre m'a intriguée, et j'ai Les absences du Capitaine Cook dans ma PAL, conseillé par Athalie.
RépondreSupprimerJe note plutôt Prosper Bouillon dans un premier temps..
Prosper m'avait fait hurler de rire, mais bien sûr commence par celui que tu as sous la main !
SupprimerOui d'accord, mais il va arriver à la bibli (oh qu'il est repéré!), et puis tu n'as pas lu Feuilleton. Match nul. ^_^
RépondreSupprimerJe proteste ! J'ai lu le Feuilleton chaque semaine dans le Monde des livres ! Tséééé.
SupprimerOK, total respect, je m'incline.
SupprimerAhhhh. Merci.
SupprimerJe suis d'accord, sur une trop longue période de lecture, Chevillard, peut devenir too much. Mais à picorer, quel plaisir !
RépondreSupprimerOui quel brio ! J'ai eu envie de lire à voix haute plein de phrases.
SupprimerOh mais je (re) découvre ton (excellent) billet. Merci d'être passée, car G-machin est nul pour donner les références.
RépondreSupprimerJe suis à 100% d'accord avec ton avis, y compris pour ne pas lire Chevillard trop intensément.^_^
C’est brillant mais quand on en lit trop, on n’apprécie plus la mécanique.
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