La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



lundi 4 février 2019

La rivière et ses méandres, creusant les gorges, lacèrent le territoire.

Séverine Chevalier, Les Mauvaises, édité à La Manufacture des Livres, 2018.

Nous sommes en août 1988, dans un coin paumé du Massif central, dans un village, près d’une forêt. Une adolescente vient de se suicider et son cadavre disparaît de la chambre funéraire. Un thriller ? Non, à peine un roman noir.
Le récit se déroule avant et après cet événement qui ouvre le livre. Par petits paragraphes, dans le désordre, nous aurons l’enfance de Micheline, surnommée Roberto, une adolescente maigre qui explore la forêt, le tunnel désaffecté de la SNCF, le viaduc spectaculaire qui ne sert plus à rien, le lac créé par un barrage artificiel. Roberto traîne avec Ouafa, une fille un peu sauvage et Oé, qui n’est pas tout à fait normal, et un vagabond qui a passé l’hiver ici. La vie est un peu vide par ici.

Tout en haut des arbres ça commençait à bourgeonner, mais il faisait presque froid encore, l’hiver semblait tout retenir de la nature prête à exploser. La neige recouvrait le sol il y a peu d’une masse dure, on s’en souvenait même si les peaux frémissaient en attente d’un peu de vent tiède, de douces et jaunes jonquilles, de frêles violettes et pensées parsemant ci et là les tapis bruns.

Le roman se déploie progressivement autour de ce village. Nous sommes avant la vague des néo-ruraux-bobos. Les maisons sont abandonnées et fermées. Les usines sont de grandes carcasses vides, à l’exception d’une, qui va s’agrandir aux dépens de la forêt. L’aventure ferroviaire est un souvenir et les touristes randonneurs ne sont pas encore arrivés par là. C’est le déclin tranquille. Cailloux et mobylette, mauvaises herbes et alcool. Petites folies ordinaires, petits sévices familiaux, petites amitiés qui comptent pour la vie.
C’est un très bon roman, qui peint une époque et un lieu en suivant ces adolescents. Un peu de tristesse et de mélancolie, de la violence enfouie, des personnages qui font face aux difficultés et qui s’entraident aussi. La langue est poétique, sans effets ni panaches. C’est un peu triste.
Hopper, Station, 1940, Moma.
Elle ne savait jamais trop comment exprimer les choses, elles ne se parlaient pour ainsi dire pas, toutes les deux, mais dans l’ensemble cela convenait à l’une et à l’autre parfaitement, car le plus souvent il n’y avait rien à dire d’intéressant, et les deux avaient sans doute besoin, un besoin vital comme celui de respirer, de se concentrer sur leur vie intérieure intensément, en permanence, le plus fortement possible, sans laisser les autres interférer avec leurs mots vides et creux qui ne signifiaient rien si ce n’est la comédie du monde qui va et qui vient pour faire semblant d’avoir un sens, d’être importante.

2 commentaires:

Ingannmic, a dit…

J'ai beaucoup aimé ce titre, ainsi que Clouer l'ouest, le premier roman de Séverine Chevalier. Une très belle plume.
Sinon, je vois que tu lis Jérusalem.. je l'ai acheté à sa sortie mais je n'ose pas le sortir de mes étagères, il me semble monstrueux !! J'espère que nous aurons droit à ton avis..

nathalie a dit…

Premier roman que j'ai lu d'elle et oui j'ai vu que tu avais aimé aussi !
Pour Jérusalem, on me l'a prêté, je pense le lire par tranche, 250-300 pages à chaque fois. Ça me plaît bien pour le moment. Il faudra patienter quelques semaines pour avoir mon avis !