La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



vendredi 1 mars 2019

Cet enfant avait un physique qui ne donnait aucune prise au drame.

Henry James, Washington Square, publication originale 1880. Le nom du traducteur n’est pas indiqué dans les epub gratuits (mais pourquoiiii ?).

Un petit roman amer et délicieux.
Nous sommes à New York. Le docteur Sloper est riche et veuf. Il élève sa fille unique, Catherine, qui, hélas, ne possède ni le charme ni l’esprit qu’il juge suffisant (bon, on se doute qu’elle n’a pas reçu une éducation vivifiante non plus). Pour la chaperonner, Mrs Penniman, une tante fofolle et faiseuse d’histoire. QUAND SOUDAIN débarque… Morris Townsend.

Elle avait beaucoup aimé jouer étant enfant, et bien que ce ne soit pas un trait poétique pour une héroïne, je dois ajouter qu’elle était très gourmande. Je n’irai pas jusqu’à dire qu’elle allait voler des raisins secs dans le placard de la cuisine ; mais elle s’achetait des choux à la crème avec son argent de poche. À ce compte-là, quel biographe parlant sincèrement de ses jeunes années oserait être sévère sur ce sujet ?

Une histoire de mariage ? Une histoire d’amour ? Une histoire de chasse à l’héritière ? Un roman à la Jane Austen ? Alors le grand modèle britannique n’est en effet pas bien loin. Songeons que Northanger Abbey commence ainsi : « Personne ayant jamais vu Catherine Morland dans son enfance ne l’eût supposée née pour être une héroïne ». D’une Catherine à l’autre... d’autant que la tante de James a visiblement lu tous les romans gothiques disponibles et est prête aux mariages clandestins, aux fuites, aux amours secrètes, etc. Et l’écriture de James est elle aussi brillamment ironique.
Toutefois, le ton est bien différent ici, plus sombre, moins léger, moins serein. En dépit de ses aptitudes, le docteur apparaît comme un type cruel, incapable de percevoir les réelles qualités de cœur de sa fille. Catherine est une jeune cruche, loin des jeunes filles gazouillantes des romans d’Austen. Autant dire que si l’on compatit à ses mésaventures, on ne se prend guère de sympathie pour elle. Le personnage de la tante est très réussi, sans être positif : elle est veuve, insupportable, mais se jette joyeusement dans le roman de l’amour avec toutes ses péripéties sensationnelles, qu’elle vit par procuration avec un grand plaisir. Et le prétendant ? Un peu falot, mais il ne s’en sort pas si mal et semble plus perspicace et sensible que le père et la tante de l’héritière.

« Cette femme est complètement idiote » pensa Morris ; mais il se sentit obligé de dire quelque chose de tout différent. Ce qu’il dit n’était d’ailleurs pas beaucoup plus courtois, si l’on y songe :
- Est-ce pour me raconter cela que vous m’avez demandé de venir vous retrouver ici ?
C'est à Philadelphie mais je vois le Washington Square de New York un peu comme cela.
Le plaisir de lecture tient pourtant à tant de choses. Le rythme du roman, assez rapide et enlevé. Le soin avec lequel chacun des personnages est évoqué. Aucun n’est particulièrement délaissé ou mis en vedette et chacun joue complètement son rôle. L’humour qui imprègne l’ensemble du texte, voire la cruauté dont fait preuve James envers ses personnages. Et la fine observation sociale que constitue aussi ce roman. En effet, on perçoit confusément que le personnage de Catherine résulte grandement de la façon dont étaient éduquées les filles, à l’écart de tout, sans savoir intellectuel ou pratique. Leur seule voie est le mariage et si elles échouent là, que deviendront-elles ? Car Catherine recèle en elle des ressources insoupçonnées. Oui, elle a de quoi de faire une héroïne et même un mariage d’amour, si jamais on la laisse faire – mais son père et l’auteur se résoudront-ils à la lâcher ?
J’ai marqué de nombreux passages, signe de plaisir de lecture !

Elle était romanesque, sentimentale, et folle de petits secrets et de mystères – passion bien innocente, car jusque-là ses secrets lui avaient servi à peu près autant que des bulles de savon. Elle ne disait pas non plus toujours la vérité ; mais cela non plus n’avait pas grande importance, car elle n’avait jamais eu rien à cacher.

L’excellent billet de Dominique et celui très beau également de Cléanthe qui analyse très finement chacun des caractères.

James sur ce blog :

4 commentaires:

Dominique a dit…

un roman selon mon coeur, une des premières oeuvres lues de Henry James et depuis je n'ai jamais cessé de lire ou de relire
juste un mot pour dire que je ne suis pas d'accord avec ton portrait de Catherine, cruche non, plutôt me semble t-il une absence totale de confiance liée à l'attitude du père, les parents peuvent être de terribles empêcheurs d'épanouissement
merci à toi pour le lien c'est très sympa

nathalie a dit…

Je suis d'accord avec toi ! En fait, j'ai sans cesse hésité dans ma lecture : elle manque de confiance en elle et de perspicacité (et puis quand même, des fois un peu cruche) et c'est la grande faute de son père et de sa tante !

keisha a dit…

Je lis vite vite, car celui là, ce sera peut être mon prochain James!!!

nathalie a dit…

Un des rares que j'ai trouvé en numérique... et je pense que tu le liras vite vite aussi car il est très agréable !