La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



lundi 6 janvier 2020

Il n’y a rien au monde d’aussi satisfait qu’un éléphant en train de paître.

Vivienne de Watteville, Un thé chez les éléphants, traduit de l’anglais par Gérard Jean-Aubry, parution originale 1935, édité en France par Payot.

Une anglaise au caractère bien trempé décide de partir en expédition au Kenya soi-disant pour photographier les animaux, surtout pour vivre en harmonie avec les éléphants.
C’est extrêmement bien ! L’espace de quelques pages, prenez de l’oxygène et allez marcher dans la brousse. Bien sûr, on y trouve quelques figures du genre : les hommes qui déconseillent ce voyage, les considérations paternalistes sur les kenyans, mais il y a surtout beaucoup d’autodérision, de beauté et de poésie dans ce récit.

Mais ils se fondirent bientôt dans l’aube grise – c’est extraordinaire de voir comment peuvent disparaître des animaux aussi gros –, et je suivais leur direction quand, en regardant autour de moi, je vis sur mes talons l’inévitable Mohamed. Un indubitable accent de reproche se sentit dans son « bonjour ». Je l’avais pour une fois devancée, et quelque effronterie que j’y misse, je me sentis tout de même un peu stupide de me voir surprise à poursuivre un rhinocéros, à travers cinq cents mètres de lande épineuse, en robe de chambre et en pantoufles.

Watteville n’a pas froid aux yeux et trouve très amusant de faire rugir les lions, de se frayer un chemin au milieu des éléphants, de partir en excursion sur la montagne et de marcher 12 ou 14 heures. C’est avec humour qu’elle dépeint ses contraintes pour obtenir de bonnes photos (marcher sous le vent, sans faire de bruit, approcher suffisamment près, avoir une bonne lumière…). Elle sait aussi partager son émotion à la fin d’une journée particulièrement heureuse ou épuisante ou pleine de surprise, où les animaux lui ont fait don de leur présence.
J’ai pensé plusieurs fois à Peacock qui explique que toute intrusion de l’être humain dérange fondamentalement les animaux. Or Watteville loue à plusieurs reprises la patience des éléphants qui finissent par accepter de la laisser approcher, alors que, visiblement, elle ne cesse de les enquiquiner. Malgré tout, c’est une histoire de cohabitation et d’acceptation réciproque.
Un voyage où l’héroïne transporte de quoi prendre un bain, une bibliothèque, un gramophone, une théière… mais regrette le temps où le train allait moins vite et où le voyage était plus romanesque !
Il y a aussi la conscience du comportement impossible et contradictoire de l’être humaine vis-à-vis des animaux (ne pas être cruel et les manger, sauver une abeille et tuer une mouche), comme dans l’épisode cocasse de la fourmi et du fourmi-lion. Je retiens l’épisode très amusant où elle rugit dans un bidon pour imiter les lions et où cela marche un peu trop bien et la charge terrifiante d’un éléphant en colère.

Watteville approche d’assez près pour voir la couleur des yeux des rhinocéros (cerise).

Le film était aussi bon que je pouvais l’espérer. Et pourtant, tout en marchant dans la lumière dorée du soir, je n’en éprouvais aucune satisfaction, mais plutôt une infinie tristesse. Le film, après tout, n’était pas une fin en soi ; ce n’était qu’un prétexte pour aller à la recherche des éléphants. N’importe qui, avec un bon objectif téléphoto, pourrait prendre des photographies beaucoup plus impressionnantes et avec infiniment moins de risques. Si j’avais su résister à cette occasion de me servir de mon appareil, j’aurais pu rester à observer les éléphants sans les déranger. Mais le problème essentiel, celui de me lier d’amitié avec eux, n’avait en réalité, pas de solution et c’était là le regret durable.

Une bonne toile coloniale exactement de la même année :
J. Thil, Afrique équatoriale française, 1935, Quai Branly
Totalement motivée pour lire le second opus, Petite musique de chambre sur le mont Kenya, surtout que les deux titres ne formaient à l’origine qu’un seul volume.

Je n’ai pas vu de billet chez Keisha (je suis inquiète).



4 commentaires:

  1. Je comprends ton inquiétude, car c'est complètement dans ma zone de confort. OK, j'ai vérifié, c'est en réserve à la bibli.
    Cela me donne d'ailleurs des idées de lecture, histoire que je te renvoie la balle, mon honneur est en jeu. ^_^

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    1. Ah non mais tu as de l'avance en la matière, respire ! On sait bien que tu précèdes tous les blogs sur les chemins de l'aventure.

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  2. Je l'ai acheté finalement en librairie (déchainée après le premier confinement), tu m'avais donc précédée, d'ailleurs c'est quasi sûr que tu m'as fourni l'idée.

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