Anne-Marie Lecoq, Le Bouclier d’Achille, 2010, Gallimard.
Une envie d’Antiquité grecque et de me replonger dans ce très beau livre d’histoire.
Au commencement, il y a la longue, très longue, invraisemblable description du bouclier d’Achille dans L’Iliade. Bouclier où le forgeron, Héphaïstos, rassemble une ville en guerre, une ville en paix, des moissons, l’Océan, la lune, une danse et encore beaucoup d’autres choses. Et depuis, tout le monde se demande bien ce que cette description fait là, au milieu d’un récit de guerre.
Il est essentiellement produit par le caractère énigmatique de l’objet forgé par Héphaïstos, énigme qui s’épaissit au fur et à mesure de la fabrication et que rien, jusqu’à la fin du poème, ne permettra de résoudre. D’abord, il s’agit évidemment de quelque chose de plus qu’un simple bouclier, si extraordinaire soit-il : c’est une image du monde. (…) Ensuite, les habitants de ce monde, hommes et bêtes, sont présents, et leur image est donnée comme vivante. Et pour expliquer ces deux traits remarquables : Le bouclier représente le monde et ce monde est vivant, nous ne disposons d’aucun élément.
Lecoq consacre une première partie à la façon dont les poètes se sont intéressés à ce morceau de bravoure. Ici Homère est comparé à Virgile et il est notamment question de la querelle des Anciens et des Modernes, et plus généralement de la place d’Homère dans les belles-lettres.
Une deuxième partie nous présente les tentatives pour essayer de savoir à quoi ressemblait ce fameux bouclier et les essais de reconstitution. Nous abordons une série de querelles archéologiques : qui a inventé la sculpture ? Et la peinture ? Quel était l’état de la métallurgie à l’époque d’Homère ? D’ailleurs, c’est quand Homère ? Et que sont ces temps primitifs ? Nous remontons aux origines. Bien sûr, nous croisons Winckelmann et les grands chantiers de fouilles archéologiques en Grèce au XIXe siècle.
Puis, nous passons aux interrogations sur ce qu’a voulu faire Homère et aux différentes interprétations possibles. Car ce bouclier est avant tout un objet poétique ! Il y a ici de très belles pages écrites par ceux qui ont rêvé l’épopée homérique à l’aune de leur expérience et de leur vie. Le bouclier serait un monument à la paix, à la douceur de la vie quotidienne, à la fragilité de la vie… mais pourquoi le confier à Achille ?
Enfin, Lecoq en vient au créateur du bouclier, non pas Homère, mais Héphaïstos. Elle développe les différentes facettes de ce personnage : forgeron, sorcier, voyant, capable d’insuffler la vie à un objet, mais aussi de lier la vie dans un piège… Héphaïstos est aussi le fabricant de Pandora et d’autres objets vivants, le possible ancêtre de Dédale… un dieu aux pouvoirs étendus.
Lecoq conclut en revenant à sa spécialité, l’histoire de l’art : le bouclier d’Achille dans la définition de l’artiste à partir de la Renaissance et l’artiste vu comme un magicien.
Je suis toujours aussi enthousiaste à l’égard de ce livre, qui traite aussi bien d’archéologie, d’histoire, d’histoire de l’art, de poésie, d’histoire des idées, d’anthropologie, qui parcourt quelques siècles et nous propose les réflexions de plusieurs auteurs, tous très intéressants. Lecoq livre l'histoire des différentes hypothèses et interprétations, en toute honnêteté, sans imposer une lecture unique. À la fin du livre, nous avons envie de retenir ensemble tous ces hommes de lettres et ces artistes, aux idées si stimulantes. Parler de L'Iliade, c'est parler d'une vision du monde. Je trouve le livre très bien écrit, simplement, mais avec une certaine grandeur. En plus, il donne envie d’archéologie antique !
Ça donnerait presque envie de relire L’Iliade.
Hypothèse de reconstitution 1715 par Vleughels et Boivin. Image Wikipedia. |
Voici donc le bouclier d’Achille : un ultime talisman procuré au héros pour tenter d’infléchir l’inflexible Destin qui le voue à une mort prochaine, un rempart fait de la vie même, substance introduite dans des corps de métal et d’or incorruptible et retenue par un dieu sorcier dans un cercle magique.
L’effet est immédiat et quasi électrique : tandis que ses compagnons sont saisis d’une terreur sacrée,
… Achille aussitôt
Sentit le courroux submerger son cœur et dans ses yeux
Une lueur terrible, pareille à la flamme, s’alluma sous ses paupières…
C’est ce livre qui m’a donné envie de lire le grand poète W. H. Auden, lui qui a proposé un bouclier comme un monde stérile et vide, ravagé par la guerre.
Mon premier billet qui cite longuement Auden.
Une autrice.
Bon, j'avais commencé l'Iliade il y a quelques mois, mais là, si le confinement dure, il risque d'y passer (chic!)
RépondreSupprimerLu il y a longtemps dans une édition Maxilivre à 10 francs... il faudrait que je ravive tout cela !
SupprimerA mon grand damn, je n'ai jamais réussi à lire L'Iliade... Un problème de traduction, peut-être ? C'est ce que je me dis pour me donner l'illusion que je ne suis pas trop un boulet de passer à ce point à côté d'une oeuvre majeure de la littérature...
RépondreSupprimerLa traduction est sûrement essentielle. Et puis c’est un récit dont les valeurs poétiques et humaines sont très éloignées de nous, il faut faire un véritable apprentissage,
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