La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 1 septembre 2020

Simplex adjure le lecteur de ne pas le croire menteur.

Hans Jakob Christoffel von Grimmelshausen, Les Aventures de Simplicissimus, traduit de l’allemand par Jean Amsler, parution originale en 1669, édité en France par Fayard.

Une plongée sombre dans l’âge baroque. Pas celui des concerts à Venise ou des salons libertins à Paris, non, non, celui des campagnes et des forêts allemandes, ravagées par la Guerre de Trente ans.
Le narrateur est un jeune paysan, un peu simplet, contraint de fuir la ferme familiale pour échapper à des soldats. Il se réfugie dans la forêt, auprès d’un ermite qui le baptise Simplex. Il nous raconte ensuite toute sa vie : bouffon à la cour, valet de soldat, puis soldat lui-même, mais soldat d’une de ces compagnies qui passent autant de temps à piller les paysans qu’à assiéger les villes, soldat dans les armées impériales donc, prisonnier, échappé, fuyant à Paris, revenant, s’enrichissant, perdant tout, croisant de temps en temps le chemin de Dieu ou d’un ami, mais le plus souvent seul.

C’est pourquoi je me cachai dans un épais fourré d’où je pouvais entendre aussi bien les cris des paysans torturés que le chant des rossignols, car ces oisillons n’avaient pas daigné, par égard pour les paysans dont on a coutume d’appeler certains des oiseaux, prendre avec eux le deuil ni, en considération de leur infortune, interrompre leur doux babil ; c’est pourquoi, donc, mi-soucieux, je me couchai sur une oreille et m’endormis.

Simplet Simplex ? Au début, oui, jeune ignorant devant la vie, mais il apprend vite la civilisation. Boire, s’empiffrer, jouer, se battre, faire des prisonniers, avoir de l’ambition et être arrogant… L’être humain est un aveugle, il vit et parcourt des kilomètres, en perdant ses rares amis, en oubliant les conseils, sans tirer leçon des merveilleuses aventures qui lui arrivent. Parce qu’il lui en arrive ! Déguisé en veau ou en jeune femme, prisonnier des suédois, emmené jusqu’au bal des sorcières, séducteur à Paris, charlatan en médecine, pèlerin, visitant le centre de la terre sous un lac, j’en passe. Entre le roman d’aventures et le roman picaresque, il s’agit de dépeindre la brutalité généralisée de l’époque, où la guerre devient un genre de paradigme pour la société tout entière et impose ses normes. Pas ici de gloire guerrière, nous sommes dans la boue et le sang (et la misogynie la plus ordinaire) et la plus grande des solitudes. Une vie comme une longue danse macabre.

Dieu te garde, monde, car lorsqu’on te suit on perd le temps en oubli, consume sa jeunesse à courir, marcher, sauter par-dessus barrières et escaliers, par chemins et sentiers, par monts et par vaux, par forêts et solitudes, par mer et par eau, dans la pluie et la neige, le chaud et le froid, le vent et l’orage.
Ivoire, La Mort en batteuse, 1670, Allemagne, V&A.
J’ai entendu parler de ce roman grâce aux documentaires d’Arte sur la Guerre de Trente ans et grâce à France culture (intello un jour…). Il y a dans le roman beaucoup de noms de lieux, de villes assiégées et de garnisons, mais je n’y ai pas prêté une grande attention (ma géographie allemande étant à peu près nulle).
Un récit à l’humour noir, très noir, à l’ironie mordante, mais aussi au ton farcesque, digne du grand guignol. Le narrateur se moque autant de lui que des autres. C’est une langue très concrète et imagée, qui n’est pas sans rappeler lointainement celle de Rabelais, d’autant que sont insérés de grands développements issus des livres de médecine ou de théologie du temps, dans le but manifeste de se moquer de ce grand tralala. C’est un gros roman de 400 pages bien denses. Il y a quelques longueurs ou répétitions, mais j’ai vraiment apprécié ma lecture. Un texte tout à fait fascinant et étonnant, fondateur de la littérature allemande !

En un clin d’œil, la nuit fut impénétrable et la crainte me serra le cœur au point que je tombai par terre et fis pour moi une centaine et davantage de signes de croix.

Une émission qui présente assez clairement la Guerre de Trente ans.

3 commentaires:

  1. Tu mets vraiment la main sur des pépites! En ces temps de rentrée littéraire, ça faut du bien! ^_^

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  2. Oui, j'ai bien vu, ce n'est pas récent! J'étais ironique

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    1. C'est dans les vieux pots qu'on fait les meilleures soupes ! D'autant que la période inspire aussi les romanciers contemporains... comme tu le verras jeudi !

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