La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 17 novembre 2020

Mais-qu’est-ce-qui-t’a-pris-mais-qu’est-ce-qui-t’a-pris-mais-qu’est-ce-qui-t’a-pris ?

Juliana Léveillé-Trudel, Nirliit, 2015, édité au Québec par La Peuplade.

La première partie est un cri de colère, de rage et de désespoir. La narratrice, dont on comprend qu’elle est travailleuse sociale, se rend comme chaque été à Salluit, dans le Nunavik. Mais cette année on lui apprend que son amie, Eva, a été tuée.

La seconde partie s’intéresse à Elijah, le fils d’Eva, à ses amours, à ses enfants. Le ton y est beaucoup plus triste et mélancolique.


Quand on revoit quelqu’un après longtemps, il faut s’attendre à tout, on ne lui demande pas « Comment ça va ? » comme une absurde banalité à laquelle on n’attend pas de réponse, parce que comment ça va, ici, ça peut entraîner des réponses comme « Ça ne va pas, mon fils a mis le feu à son propre corps l’automne passé ».


Un roman très dur, qui raconte la réalité de la vie au Nunavik pour des gens à qui le gouvernement canadien et l’Occident imposent un mode de vie, un système de valeurs, une alimentation, des règles de comportement. Le chèque de l’exploitation minière ou le chèque des aides sociales, l’alcool, la drogue, la violence, la destruction des familles et des individus. Avec ces blancs qui viennent travailler pour quelques mois parce qu’ils y sont particulièrement bien payés, pour s’enfiler des fillettes, qui repartent en laissant une femme enceinte et en colportant les clichés racistes et paternalistes en vigueur. À lire à petites doses et pas avant de dormir (j’ai aussi passé quelques pages parce que pfiou).

La narratrice essaie pourtant de trouver de l’espoir, dans les magnifiques paysages bien sûr, dans le sourire des enfants, dans les trajectoires de ceux qui parviennent à échapper à toutes les embuches de cette vie aliénée, dans les récits de ceux qui viennent là parce qu’ils aiment vraiment leurs habitants, dans une histoire d’amour qui naît et qui parvient à résister à tous les aléas.

Le roman raconte une situation collectivement inextricable, avec la mauvaise conscience des blancs et le sentiment d’humiliation des Inuits. On a le sentiment que tous les individus sont irrésistiblement broyés. 

Passionnant et bouleversant.

 

Samedi après-midi, du vent doux sur la toundra. Une mère lagopède et ses petits détalent dans tous les sens pendant que j’approche, ils ne savent pas que je veux seulement admirer leur beauté, la mère en panique veut défendre ses poussins, mais avec quoi, avec quoi un lagopède peut-il se défendre ? Pas de dents, pas de griffes, les petits ne volent pas. C’est la vie magnifique et fragile, une fleur sur la toundra, j’ai le goût de brailler, je l’ai dit, j’ai souvent le goût de brailler parce que tout est trop beau ou trop dur ici, je regarde un lagopède sur la montagne et je veux pleurer pendant que dans le village les enfants et la violence.

 

Bon pour Novembre au Québec, dans la catégorie « roman engagé » avec la très belle chanson des Cow-boys fringants : L’Amérique pleure.


Une autrice.

J. Irqumia, Pêcheuse, 1963, lithographie
Musée des BA du Canada


12 commentaires:

  1. En effet, ça a l'air très très dur...

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  2. J'avais adoré ce titre malgré sa dureté, au point de l'intégrer dans mon TOP 5 de l'année 2018... quelle écriture puissante..

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    1. Je comprends tout à fait. Difficile à lire, mais ça prend aux tripes.

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  3. J'ai apprécié de découvrir cet univers !

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    1. Moi aussi, c'est audacieux et original.

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  4. je l'ai noté celui-là et tu confirmes mais pour un jour où j'aurais le moral visiblement

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    1. Je l'ai lu en alternance avec d'autres choses plus gaies. Ou alors le lire en journée, mais pas avant de dormir, parce que c'est plombant.

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  5. Comme les autres, l'aspect déprimant me fait fuir pour l'instant bien que le livre en lui-même semble passionnant.

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  6. Tu dois prendre une sérieuse gifle en lisant ce livre ! A lire, un jour de courage, peut-être !

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    1. Il est très fort ! Mais oui, une sacrée gifle.

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