La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 17 décembre 2020

Lard aux lentilles, expliqua le maestro sur un ton professoral. Y a pas mieux pour la sonorité. Ça fait cuivre.

 René Fallet, La Soupe aux choux, 1980.

Je sens qu’aucun de vous n’a lu ce roman de science-fiction terroir ben de chez nous.

Le récit est connu : dans un village moribond, deux petits vieux se tiennent à l’écart de la modernité et s’apprêtent à mourir dans leur coin, avec leur pinard et leur jardin. Sauf qu’une nuit arrive un extraterrestre.


La soupe aux choux, mon Blaise, ça parfume jusqu’au trognon, ça fait du bien partout où qu’elle se balade dans les boyaux. Ça tient au corps, et ça vous fait même comme des gentillesses dans la tête. Tu veux que je t’y dise : ça rend meilleur. Quand on s’en est envoyé un bol en plein dans le ventre, on a les arpions qui s’étirent dans les sabots.


D’un point de vue factuel, le film est extrêmement fidèle au roman, puisque plusieurs répliques sont reprises presque à l’identique. En revanche, l’atmosphère est très différente, beaucoup plus triste, grave et désenchantée dans le roman. Beaucoup plus ringarde et déplaisante aussi. Est-ce le village qui est déshumanisé ? Pourtant les voisins belges et allemands et le gendarme ne semblent pas si mauvais. Ou le Glaude et le Bombé sont-ils eux aussi devenus un peu des vieux cons ? Les deux sans doute, mais le roman n’est en tout cas guère accueillant. Tout comme la planète Oxo d’ailleurs : loin d’être un paradis on a plutôt l’impression qu’elle est aussi froide que la Terre.

Le roman fait la part belle aux répliques et aux dialogues, et aux émotions, entre le Glaude et sa femme, entre les deux amis terriens, entre le Glaude et la Denrée, aux colères et aux énervements du quotidien qui font le sel des relations humaines et le prix de l’amitié. Il y a de sacrés beaux échanges !

Un roman doux-amer.

 

Ils regardèrent, l’un la Grande Ourse et l’autre la Petite. Remué par tant de poésie céleste, le Bombé leva délicatement une fesse, émit un pet plus foudroyant qu’un uppercut, qui monta jusqu’au contre-ut avant de s’achever par une phrase de morse en suave dégradé. Là-dessus, Chérasse attendit avec intérêt le jugement de l’auditoire.

(il y a des passages d’anthologie)

 

C’était lors de soirées semblables que, très loin de la terre et sous les astres, ils se grisaient le plus, n’ayant, le plein de l’âme fait, que quelques pas incertains à tituber pour regagner leur domicile. Ceux-là qui les jugeaient durement ne savaient rien de l’âge, de la fin à l’affût comme un chasseur dans les fourrés. Ceux-là ignoraient tout de ces deux solitudes qu’effarouchait le bruit croissant d’un monde qui les quittait sans un regard. Ceux-là ronflaient auprès de leurs conjoints et de leurs radiateurs.

M. Couchaux, Vieux paysan fumant sa pipe, Rouen BA


 

2 commentaires:

keisha a dit…

Écoute, j'ai l'impression de l’avoir déjà lu! (et quasi sûre de ne pas avoir vu le film)

nathalie a dit…

Tu es quelqu'un de si rare !