La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 25 mars 2021

Comme toujours pendant mon sommeil, ceux qui savent remontent les mécanismes du monde.

   Alina Dumitrescu, Le Cimetière des abeilles, paru en 2016 aux éditions Triptyque (éditeur québécois).

 

C’est un livre autobiographique et poétique, où l’autrice évoque son voyage depuis le roumain, le français de France et le français du Québec. Il y a des fragments de l’enfance en Roumanie, un pays que la dictature et la pauvreté rendent surréalistes, les premiers jours à Montréal et le sentiment d’étrangeté devant ses propres enfants.


Les détails, les trous minuscules, sont souvent gommés dans les grands mécanismes. Ceux qui savent, élus de la race des élus, portent au lever du jour leurs clés à molette, leurs clés anglaises, leurs éteignoirs de réverbères.


C’est un récit d’enfance avec des anecdotes et des portraits, une enfance pas forcément très heureuse, mais c’est son enfance, dans un monde aujourd’hui disparu. De même, l’exil sans être malheureux est fragile et Dumitrescu semble avancer sur un fil.

Il y a la présence des Russes en Roumanie, les paquets de café qu’il faut distribuer à chaque fois que l’on a besoin de quelque chose, les leçons de piano, la très amusante visite à l’ambassade, une moquerie de ces écrivains roumains installés en France, mais quand même un amour de la France classique. Autant d’occasions pour réfléchir sur des mots à l’emploi étrange ou disparu alors que son mari, son frère ou ses enfants ont un rapport d'évidence aux mots, comme si le langage était stable et fixe dans leur bouche et toujours vacillant dans la sienne.

C’est un récit qui même la mélancolie à la malice. Une agréable balade dans les mots et le langage.

 

Autrefois, je connaissais le chemin direct jusqu’aux mots, il suffisait de tendre la main pour avoir mon pain, de pencher la tête pour étancher ma soif.

 

Autrefois, je me rappelle, j’habitais à longueur d’année le passage secret qui mène directement aux mots : rose is a rose is a rose is a rose. Il me suffisait de tendre la main pour toucher le pain, de lever le pied pour danser et de pencher légèrement la tête pour que la surface de l’eau vole en éclat. Le jus sucré de la pomme, chaud, acide, au fond de la gorge, coulait sans ambiguïté aucune : une pomme est une pomme est une pomme est une pomme.

 

Une écrivaine. Lire pour le Québec. Un salut amical au mois consacré aux littératures des Pays de l'Est sur les blogs littéraires.

R. Delaunay, Tour Eiffel, 1925, musée de Philadelphie.


 

4 commentaires:

Patrice a dit…

Merci pour cette excursion dans l'enfance et cette jolie réflexion sur les mots !

Dominique a dit…

toujours j'aime les hasard du web, je crois qu'en deux jours j'ai croisé la route de plus de 5 livres avec abeilles dans le titre
je ne sais pas si je lirai ce livre mais il va rejoindre ma petite liste volante et mellifère

nathalie a dit…

Un livre retrouvé sur l'étagère, que j'avais totalement oublié. Il y a des trouvailles.

nathalie a dit…

C'est le printemps, ça butine de partout !