La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 27 avril 2021

La peste rouge vous emporte pour m’avoir enseigné vos mots !

 

William Shakespeare, La Tempête, 1610, traduit de l’anglais par Yves Bonnefoy.

 

Tout commence par une tempête et un naufrage. Et puis tout le monde est sain et sauf et nous apprenons que l’île est habité par le mage Prospero, ancien duc de Milan déchu, qui cherche à se venger de ceux qui l’ont trahi. Il y le roi de Naples et des courtisans, un génie de l’air, un monstre et une jeune fille, Miranda.

Voilà une curieuse pièce ! Apparemment, peu d’intrigue. Prospero (qui est plus un sale type qu’un héros) y déroule en effet son plan sans vraiment d’anicroche.


Qu’on les trompe, qu’on les pompe,

Qu’on s’en moque et tout et tout.

Vive la pensée libre !


Une grande partie de l’intérêt de la pièce repose sur la couleur particulière des personnages secondaires. Un bouffon, un ivrogne, des courtisans, qui font tous des jeux de mots et tiennent des discours à double sens. Le génie de l’air et le sombre Caliban sont nettement les personnages les plus intéressants.


Quatre jambes et deux voix : c’est là un monstre de la plus délicate facture. Sa voix de devant est faite pour dire du bien des amis, celle de derrière pour les débiner ou débiter des obscénités. Faudrait-il pour le remettre sur pied tout le vin de ma bouteille, je vais la soigner, sa fièvre. Allons, bois !


En réalité, la dureté initiale de Prospero sera infléchie par la grâce et la douceur de sa fille. La grande vengeance promise se transforme et s’élève en un pardon et un renoncement à la magie. Tout le monde rembarque sur le bateau. Le lecteur reste sceptique quant à l’avenir des personnages : ce couple un peu convenu, ce pardon peu sincère, l’absence de regret… Peut-être que le séjour sur l’île inhospitalière était en réalité un répit, et non un simple tour de passe-passe.

Loutherbourg, Naufrage, 1769, Musée de Dieppe

Sois sans crainte ! L’île est pleine de bruits,

De sons et d’airs mélodieux, qui enchantent

Et ne font pas de mal. C’est quelquefois

Comme mille instruments qui retentissent

Ou simplement bourdonnent à mes oreilles,

Et d’autres fois ce sont des voix qui, fussé-je alors

À m’éveiller après un long sommeil, 

M’endorment à nouveau.


Un monde où la seule femme est Miranda, toute jeune fille. On sait d’elle qu’elle a échappé à un viol et que son père est lourdement attaché à sa virginité. Sa mère semble une froide allégorie. Pauvre Miranda !

La thématique principale est celle de l’illusion. La tempête est fausse, le mage est un duc, l’ivrogne se fait passer pour un dieu, la créature la plus méprisée est la seule à tenter de se rebeller contre Prospero, le sommeil est faux, le génie de l’air est invisible, les dieux grecs sont des acteurs de théâtre, etc. Nous sommes dans un rêve et un temps suspendu.

Les jeux entre les personnages sont très réussis. Il y a par-dessus tout les évocations de l’air, de la nature, de la musique. J’ai vraiment apprécié la langue, avec son alternance de morceaux poétiques et de jeux de mots grivois et de dialogues grotesques. C'est peut-être cette langue, qui est autant celle de Shakespeare que celle de Bonnefoy, qui est le personnage principal de la pièce. Cela va vite, cela virevolte et change de ton, retombe sur ses pattes et redémarre et s'élance à nouveau.

 

Et même ce vaste globe et ceux qui y vivent,

Tout se dissipera sans laisser au ciel une ride,

Oui, comme a disparu cette ombre de spectacle.

Nous sommes de l’étoffe

Dont les songes sont faits. Notre petite vie

Est au creux d’un sommeil…

 

Une lecture lancée par Claudia Lucia.

 

Bon. Et maintenant, quand rouvrent les théâtres ?

 

 

10 commentaires:

  1. Shakespeare, oui... Lire du théâtre me paraît difficile, en fait.

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    1. Totalement ! Mais bon, je ne suis pas sûre de voir la pièce un jour, donc au moins j'en ai une idée.

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  2. Quand je lis un billet comme le tien j'ai envie de lire Shakespeare et puis je le tente pour la nième fois et c'est toujours un flop, non pas Shakespeare mais lire du théâtre, je peux le voir, l'écouter mais pas le lire, ça m'ennuie au possible de lire des dialogues et rien que des dialogues je dois avoir un défaut quelque part

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    1. Ce n'est pas facile à lire du tout. Je pense que c'est bien en audio, à défaut de le voir représenté.

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  3. la tempête est une oeuvre qui m'a beaucoup occupée : j'ai au moins 4 billets dans mon blog (mais je ne vais pas copier tous les liens. Mention spéciale au film de Greenaway que j'ai vraiment beaucoup aimé Prospero s book, et plusieurs mises en scène avec des variations autour du thème de la Tempête.

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    1. Ah tu es une vraie pro en effet, je n'en suis pas là !

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  4. J'ai vu Le songe d'une nuit d'été en Angleterre, au grand air (ces anglais n'ont jamais peur de la météo, mais o n avait des couvertures), en VO bien sûr, et je me suis bien amusée! Découvert que shakespeare alternait le drôle et le tragique.
    Sinon, j'me la pète , j'ai vu Henry VI, dans une salle de province, ça durait deux jours (pas d'affilée), genre 16 heures avec entractes et manger, etc. J'ai aimé!!!
    Bref, Shakespeare, en lecture, non.

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    1. Mais carrément, les anecdotes de folie ! J'ai vu un Henry ou un Richard, mais je ne sais plus quel numéro... et Macbeth. Je crois que c'est tout.

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  5. oh oui, à quand la réouverture !!!
    C'est une pièce que j'ai vu sur scène mais jamais lue, j'ai un peu de mal à la lecture, il me faut du jeu pour accrocher!

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    1. Ce n'est pas idéal, mais en attendant d'avoir la chance de la croiser, cela me donne au moins une idée de ce à quoi ça ressemble.

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