Saul Bellow, Herzog, parution originale 1961, traduit de l’américain par Jean Rosenthal, édité en France par Gallimard.
Moses Herzog est le personnage principal de ce roman (pas vraiment un héros). Il écrit des lettres imaginaires à tout le monde, mort ou vivant, célèbre ou inconnu, et fait du sur-place après deux divorces et une ruine intellectuelle. Un genre de dérive affective. Pourtant, il y a la belle Ramona, ses enfants, ses frères et une certaine énergie, bancale, mais énergie quand même.
Moses ! écrivit-il, qui gagne tout en pleurant et qui pleure tout en gagnant. Évidemment il est incapable de croire aux victoires.
Attelle ta souffrance à une étoile.
Les malheurs d’Herzog nous en rappellent d’autres, que ce soient celles des personnages de Philip Roth ou des héros de Woody Allen, ces juifs américains, intellectuels, jamais en phase avec leur époque. Pourtant Herzog échappe en partie à ces caractéristiques. D’abord il est bel homme. Il est beaucoup question de son corps et de son élégance et il a beaucoup de succès auprès des femmes. Et puis il n’est pas strictement newyorkais ni même urbain. Une certaine maison au milieu de nulle part tient beaucoup de place.
Et il y a les souvenirs d’enfance, au Canada, avec un père bootlegger raté, petit combinard, la pauvreté, les ruelles sales, et toutes ces vieilles tantes avec leurs souvenirs, les roubles tsaristes et autres. Les frères d’Herzog se sont enrichis et ont choisi la voie concrète, solide et raisonnable, américaine pourrait-on dire, alors que lui semble désespérément ancré dans une dimension européenne, trop sensible, trop à côté de la plaque, trop juif sentimental.
Quand un homme sent sa poitrine comme une cage dont tous les oiseaux noirs se sont envolés… il est libre, il est léger. Et aussitôt il aspire à retrouver ses vautours. Il veut les luttes auxquelles il est habitué, son labeur innommable et vain, sa fureur, ses afflictions et ses péchés.
Un roman qui vaut par sa galerie de personnages (juristes, avocats, médecins, psychiatres, tous conseillent Herzog, sans grand effet), mais aussi par sa peinture des États-Unis des années 60. Les souvenirs de la misère urbaine de l’entre-deux-guerres ne sont pas loin. Et à deux reprises Herzog est en situation d’observer de très près la justice de son pays, celle des pauvres, celle de la misère sordide, et de mesurer la distance qui le sépare, lui, avec tous ses malheurs, de ces pauvres diables.
C’est moi-même qui me suis attiré tout ça en racontant à Ramona l’histoire de ma vie… comment, partant d’une humble origine, j’ai grimpé tous les échelons jusqu’au désastre total.
Colville, Navire et observateur, 2007, coll. privée |
Avec les vrais héros, on ne fait pas de bons romans. Moses Herzog est un personnage difficile à suivre, qui se scrute dans le miroir, et très attachant. Il ne s’aime pas vraiment et il est fier de lui. Il s’inquiète beaucoup de sa sexualité et puis il veut être un père pour ses enfants.
C’est un roman avec pas mal d’humour, car Herzog hésite à se prendre au sérieux, porte un regard caustique sur lui-même et sur ceux qui l’entourent, attentif au jeu de masques de la comédie humaine et aux petits détails de l’apparence. Il y a des formules tout à fait croustillantes, alliant la poésie à la cruauté, mais l'art de rire de soi-même est plein d'élégance. Et de l'ironie pour traiter la litanie des conseils que l’on donne aux autres, sans se les appliquer, sans les écouter.
La lecture n’est pas forcément aisée, surtout celle des lettres qu’Herzog multiplie (en imagination) à droite et à gauche pour développer une vision philosophico-politique. C’est assez touffu. Mais progressivement, l’horizon s’éclaircit. Alors qu’il fait d’abord du sur place, le voici capable d’aller dîner avec Ramona, puis d’aller voir sa fille, ses amis, et de récupérer ses esprits. En zigzagant, avec des retours en arrière, sans certitude, et avec beaucoup d’efforts, parce qu’Herzog n’est pas un héros, que l’avenir ne lui apparaît pas comme une avenue droite ou un soleil radieux, mais qu’à force de tâtonnements, on finit par trouver un chemin.
Herzog écrivit : Ne comprendrai jamais ce que les femmes veulent. Que veulent-elles ? Elles mangent de la salade verte et boivent du sang humain.
Le long du chenal de Long Island, l’air s’éclaircit et devint peu à peu très pur. L’eau était calme et lisse, d’un bleu doux et l’herbe brillait, parsemée de fleurs sauvages : des myrtilles en abondance parmi la rocaille et les fraisiers sauvages en fleur.
Pourquoi faut-il que j’aie tout le temps le cœur battant… Mais c’est un fait, je suis comme ça, et on ne dresse pas les vieux chiens. Mon moi est comme ça et continuera à être comme ça. Pourquoi le combattre d’ailleurs ? Mon équilibre vient de mon instabilité. (…) Je suis obligé de jouer de l’instrument que j’ai.
Ma première lecture semblait inachevée et j'avais eu un peu de mal à apprécier, tout en percevant qu'il y a "quelque chose". Me voici bien plus convaincue. Cette fois, je suis fermement décidée à me procurer d'autres romans de l'auteur !
De l'auteur je n'ai lu que Ravelstein, et ça m'avait plu.
RépondreSupprimerIl est sur "la" liste !
SupprimerUne lecture prévue depuis très longtemps, mais je n'ose pas me lancer. je crois que j'avais commencé à feuilleter les premières pages, et j'avais dû être rebutée par cette complexité que tu évoques.. je n'ai plus qu'à attendre le "bon moment" !
RépondreSupprimerC'est un peu dense, mais ça vaut le coup. Je vais continuer à lire l'auteur.
Supprimerun auteur sur lequel j'ai calé hélas je ne suis pas parvenue à m'intéresser aux personnages
RépondreSupprimerLe narrateur n'est pas très sympathique, il faut dire.
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