Nathalie Pigault, Les faux Napoléon, 2018, CNRS Éditions.
La légende napoléonienne serait incomplète sans les individus se faisant passer pour Napoléon. Pigault étudie le cas de 4 d’entre eux et c’est tout à fait passionnant.
Il y a deux hommes dans l’Ain en 1815 et en 1817, un homme dans le Dauphiné en 1815 et un moine soignant des aliénés en Lozère en 1823 – deux ans après la mort de Napoléon. Ces escrocs et affabulateurs profitent de l’imposture pour récolter de l’argent auprès de ceux qui espèrent le retour de l’Empereur. Mais il ne s’agit pas de banales histoires d’arnaque comme le montre l’historienne.
Marquiset, piqué de curiosité, se renseigne auprès du capitaine de gendarmerie à qui il demande « ce qu’il connaît du père Hilarion ». Ce dernier lui répond « tout bas », comme sous le sceau du secret, ces mots étonnants : « c’est l’Empereur ! » Le sous-préfet s’exclame, ahuri : « mais il est mort depuis deux ans ! » Peu importe, le capitaine de gendarmerie, tout comme un certain nombre de gens dans le département, est certain que Napoléon a enfin trouvé dans le château de Saint-Alban un lieu de retraite où couler des jours paisibles.
Il peut paraître invraisemblable qu’un vagabond cheminant sans escorte soit confondu avec Napoléon. Mais d’abord peu de personnes savent vraiment à quoi ressemble l’Empereur. Et puis, il y a un précédent : les Cent jours. Après tout, l’histoire a montré que Napoléon était tout à fait capable de s’évader, de revenir et de lever une armée. Pourquoi pas une seconde fois ? (je crois qu’aujourd’hui comme alors personne ne sait vraiment où se trouve l’île de Sainte-Hélène)
Surtout, si ces mystificateurs parviennent un temps à être pris pour Napoléon, c’est tout simplement parce que le peuple des paysans et des anciens militaires veut y croire. Dans les campagnes, on craint le retour du féodalisme et la reprise des biens nationaux. Le régime de la Restauration se méfie d’ailleurs de sa population qu’il surveille étroitement, conscient du rejet qu’il suscite. Là encore, les Cent jours n’ont pas été oubliés.
Les autorités ont donc le plus grand mal à enrayer ce processus de fausses nouvelles. Ces dernières révèlent à la fois la force de la légende impériale naissante, qui fait de Napoléon le maître absolu de son destin – s’il le décide, il peut reconquérir le trône français – et le manque d’assises du nouveau régime dans la population.
Bassoul, Le vieux médaillé, musée Fesch |
C’est pourquoi Pigault examine de près l’attitude des autorités publiques à l’égard de ces faux Napoléon. Au lieu de les considérer comme des guignols ou de banals arnaqueurs (comme on pourrait le croire), ils sont arrêtés, jugés et lourdement condamnés… du moins pour ceux qui agissent du vivant du vrai Napoléon, car le quatrième bénéficie d’une plus grande indulgence. Ils sont accusés d’inciter le peuple à la révolte en réveillant ses sentiments bonapartistes. Ils sont donc dangereux pour l’État et pour la tranquillité publique, d’autant que le régime sait qu’il ne contrôle pas réellement l’armée.
C’est un ouvrage d’histoire culturelle, très intéressant pour connaître l’état d’esprit des campagnes et des petites gens – de ceux qui ont voté à fond Napoléon III trente ans plus tard.
En outre, la période est propice à ces personnages disparus et revenus, que l’on songe aux émigrés retrouvant la France après l’exil, aux soldats de la Grande armée (le personnage du colonel Chabert) ou à des figures plus mythiques comme les enfants du Temple. Lisant beaucoup de littérature du XIXe siècle, je mesure l’ampleur de la mythologie napoléonienne. Les romans abondent en disparus, en revenants, en mystificateurs, en souvenirs de soldats. Ce n’est pas seulement l’imagination des romanciers, mais une réalité profonde.
Il se lit très aisément, je vous le recommande !
L’aide aux faux Napoléon se concrétise aussi, rappelons-le, par le don d’argent, de vêtements et de nourriture. Ces multiples actes généreux, que les habitants croient adresser à Napoléon, prouvent leur volonté de l’aider dans son entreprise. Ces attitudes sont significatives : ne montrent-elles pas que la population est dans sa majorité attachée à l’Empereur et prête à lui rendre service en l’accueillant et en lui indiquant les moyens d’échapper aux autorités ?
L'anthologie Les autres vies de Napoléon Bonaparte présente plusieurs uchronies sur le sujet.
Et si vous vous intéressez à la fantastique remontée de Napoléon sur Paris, lisez La Semaine Sainte, ce prodigieux roman de Louis Aragon (et même si vous ne vous y intéressez pas, lisez-le).
Sur un thème assez proche, il y a un documentaire radiophonique sur une fille putative de Napoléon, surveillée de très près par la police de la Restauration. Et un article sur l'épidémie de fous qui se prennent pour Napoléon.
Au départ, je me posais des questions, et puis, oui, à l'époque, pourquoi pas? Un peu comme cette histoire de fille du dernier tsar?
RépondreSupprimerTu m’affoles aussi avec les idées lecture de la fin. ^_^
Oui quand on lit les faits on se dit : mais comment ce pouilleux a-t-il pu être pris pour Napoléon ? Et pourquoi le condamner à 5 ans (5 ans !) de prison ? Le livre nous explique tout cela justement, et révèle tout ce qu'il y a derrière ce mouvement.
SupprimerTon commentaire sur "l’ampleur de la mythologie napoléonienne" me fait penser qu'on retrouve Napoléon comme un mythe dans pas mal de romans de/sur le XIXe siècle en Europe de l'Est. Un sujet à creuser (si ce n'est pas déja fait)! En attendant, je suis de plus en plus curieuse de voir quels autres livres passionnants tu vas nous présenter.
RépondreSupprimerOui Napoléon a fasciné tout le monde, des Russes aux Anglais (il y a aussi des intox dans la presse anglaise d'ailleurs).
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