La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 24 août 2021

J’y voyais croître la fauve bruyère.

 

Emily Brontë, Cahiers de poèmes, traduit de l’anglais par Claire Malroux, édité chez José Corti.


"Sans titre", Cahier EJB n° 4 (1838)

 

La campanule est la fleur la plus suave

Ondoyant dans l’air de l’été

Ses clochettes ont le suprême pouvoir

D’apaiser le souci de mon âme

 

Il y a dans la pourpre bruyère un charme

Trop violemment, tristement cher

La violette a une haleine parfumée

Mais le parfum ne peut égayer

 

Les arbres sont nus, le soleil est froid

Et peu, si peu souvent visible.

Les cieux ont perdu leur ceinture d’or

La terre sa robe de verdure

 

La glace sur le ruisseau scintillant

A jeté son ombre grise

Au loin collines et vallées semblent 

Drapées d’une brume gelée –

 

La campanule ne peut plus me ravir

La bruyère a perdu sa fraîcheur,

Les violettes au fond du vallon

N’exhalent pas de douce odeur

 

Mais si j’ai regret de la bruyère

Il vaut mieux qu’elle soit loin

Je sais comme vite afflueraient mes larmes

À la voir sourire aujourd’hui

 

Et cette fleur sauvage qui si timide

Cache sous la pierre moussue

Son arôme et son œil mouillé de rosée – 

Je ne gémis point sur elle non plus

 

Mais sur la svelte et majestueuse tige

Le bleu argent des pétales

Que les boutons celaient tel un saphir

Dans un écrin d’émeraude

 

Ce sont eux qui versent sur mon cœur

Un charme calme et lénifiant

Qui s’il fait monter aux yeux les larmes

À pouvoir d’apaiser tout autant

 

Eux que je pleure, d’eux séparée si longtemps

Pendant le morne jour d’hiver

Pleure avec nostalgie – mais surtout quand l’errance

Sur des rives flétries me conduit

 

Si glaciale alors la lumière décline

Au bas du morne ciel

Et dore le mur suintant et assombri

D’un lustre passager

 

Oh que je languis, oh que je soupire

Après la saison des fleurs

Et fuis cette lueur qui s’éteint –

Pour lamenter les champs du pays – 






2 commentaires:

Dominique a dit…

je n'ai découvert ces poèmes que très tardivement, pendant longtemps, en fait depuis mon adolescence, Emily Brontë c'était les Hauts de Hurlevent et seulement ça
il a fallu que je lise une bio des soeurs Brontë pour que j'aille y voir de plus près
ce fut un vrai choc, un peu comme celui reçu lors de la découverte d'Emily Dickinson une poésie magnifique, forte, lancinante, parfois d'une tristesse et d'une mélancolie sans nom, des vers, des images splendides
je suis encore aujourd'hui stupéfaite de la force créative de cette jeune femme malade de surcroit, qui du fond de son désert culturel a été capable d'enchanter le monde 2 fois

nathalie a dit…

J'ai découvert très récemment et oui, je suis d'accord avec toi, c'est très impressionnant. Quelle maturité et quelle sensibilité.