George Makana Clark, Les douze portes dans la maison du sergent Gordon, parution originale 2011, traduit de l’anglais par Cécile Chartres et Élisabeth Samama.
L’histoire nous est racontée à rebours : depuis l’enterrement d’un homme par celui qui a recueilli ses souvenirs jusqu’à sa naissance et même l’enfance de ses parents. Elle nous est aussi racontée avec des trous, car on devine seulement ce qui se passe entre une époque et une autre. Au lecteur de comprendre qui est cet homme, ce Gordon, un peu différent des autres.
Quant à Mr Gordon et moi, nous ne parlions jamais de sa lignée. C’était entendu entre nous, un secret entre père et fils que ma mère ne devait pas découvrir. Ce secret remplissait toutes les pièces de la maison, tous les recoins, toutes les fissures, laissant à peine la place aux rats.
Nous sommes en Rhodésie et puis au Zimbabwe, dans un pays en ébullition, où les propriétaires blancs peuvent décider de raser un village pour installer une mission religieuse et où plus tard ils s’enfuient quand tout tourne mal. Mais comme on commence par la fin, on commence par une guerre civile, où l’armée traque des rebelles, où les chasseurs d’hippopotame surgissent de la rivière Innommable, où les prisonniers sont réduits en esclavage dans une mine clandestine, où un homme lit l’avenir dans le sang. On remonte progressivement au temps de l’enfance et des premières amours, des révélations sur les parents, de la cohabitation pas très heureuse entre noirs et blancs où l’on se méfie les uns des autres, mais où l’on vit ensemble.
Les secrets sont révélés ainsi progressivement, tout en conservant une part de mystère en s’enfouissant dans la mémoire embrouillée des personnages. Aux yeux du lecteur, qui connaît l’avenir du héros, mais pas son passé, celui-ci apparaît toujours neuf et réinventé alors qu’il traîne pourtant derrière lui une longue histoire personnelle, familiale et collective, douloureuse.
C’est un très grand roman, mais j’ai écrit le billet malheureusement un peu longtemps après ma lecture. Il m’est difficile d’être précise.
Il y a des scènes de traque au bord du fleuve, d’hommes qui sortent du fleuve, de village rasé au napalm. Il y a une cavalcade folle d’enfants à cheval tuant des serpents. Il y a l’initiation d’un adolescent.
C’est un monde hanté par les ancêtres, les spectres, les contes et les souvenirs que l’on se transmet, par les croyances, par ce que l’on se raconte à soi-même et ce que l’on essaie de faire croire aux autres.
Awacamara, Céramique, 2008 coll. Blachère
Je racontais à Madota qu’autrefois, la nuit, les moines se promenaient nus dans les champs, ensemençant les sillons de coriandre de leur sperme. Le sol frémit légèrement sous nos pieds et nous nous prîmes la main pour ne pas trébucher. La piste traversait l’autoroute de montagne qui desservait la réserve, où les marchands et chalands suffoquaient dans la poussière et les effluves d’essence. J’avais mal aux mollets à force de lutter pour maintenir la même allure que Madota, dont la silhouette semblait toujours me surplomber, auréolée de lumière – une vision sans doute due à l’air raréfié et au manque d’oxygène. Mes mots se perdirent dans le vacarme. La route des Trois Hommes aboutissait à un lieu profane où Dieu avait réuni Passé, Présent et Futur en une seule créature qui se courait après. Tout ça, je l’avais appris des puiseuses qui recueillaient l’eau de la rivière.
Tiens tiens, un roman zimbabwéen, original.
RépondreSupprimerJ'étais persuadée que tu connaissais ! (limite à me reprocher de ne pas avoir mis le lien vers ton billet)
SupprimerMeuh non, je n'oserais pas. ^_^
Supprimerje le note! pour le mois Africain 2022!
RépondreSupprimerJe pense qu'il te plaira !
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