La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 20 janvier 2022

Ah, mes bons fossoyeux, à vous ! Longue vie à la Mort !

 Mathias Enard, Le Banquet annuel de la confrérie des fossoyeurs, 2020, Actes Sud.

 

Au début du roman, un doctorant en ethnologie un peu crétin débarque dans un fond de bled des Deux-Sèvres pour sa thèse sur les campagnes françaises contemporaines. Il fait connaissance avec un peu tout le monde et découvre la réalité de la vie à la campagne. Ensuite, le lecteur fait un face à face brutal avec un sanglier qui est la réincarnation du prêtre local. Car ici, quand un humain meurt, son âme se réincarne en animal ou en humain au fil des siècles. À la moitié du livre, se tient le fameux banquet – un temps où personne ne meurt, en principe.


Le maire a entrepris de me présenter aux joueurs de cartes, qui m’ont regardé comme si j’étais un Martien. Ils ont vu sur moi le masque de l’altérité, pourrait-on dire en termes lévinassiens. J’aurais sorti mes verroteries et mes machettes pour leur offrir des présents rituels qu’ils n’auraient pas réagi différemment.


Voilà un bon gros roman plein de fantaisie et d’invention. L’auteur circule avec malice parmi tous ces personnages, réunis sur un aussi petit espace. Le personnage du doctorant fournit un bon prétexte pour rencontrer les gars du bistrot, la famille anglaise, la coiffeuse, l’agricultrice bio, etc. Le motif de la réincarnation permet de remonter jusqu’aux massacres de la Révolution et à Agrippa d’Aubigné. Débarquent dans le roman des personnages qui n’ont pas grand-chose à y faire et dont on se demande ce que l’auteur va bien en faire. C’est malin.


Il ignorait bien sûr que sa luxure, ses mensonges, ses massacres de petit gibier et de poissons lui vaudraient une réincarnation en hérisson, un des derniers hérissons du village, hérisson qui n’échapperai par aux pneus du camion-magasin de Patarin, repris par le fils de ce dernier ; Patarin petit-fils écrasera le hérisson, bien qu’il se soit mis en boule, le hérisson qui avait été le gros Thomas et le renverra dans le Bardo, où il renaîtra sous la forme d’une punaise, deux siècles plus tôt, en 1815.

Squelette dans un linceul assis sur un tombeau, ivoire,
XVIe siècle, Musée des arts décoratifs

De façon générale, l’auteur est habile. Il joue avec les attentes et l’impatience du lecteur et raconte une partie de belotte comme la bataille de Waterloo. Enard joue avec délectation à attribuer un animal à un personnage et à circuler au fil des siècles. Il s’amuse. 

Malgré tout, il y a un fil rouge autour du grand-père de Lucie. L’histoire tragique de ses parents, l’ambiance du village et puis l’illusion, un temps, pour le lecteur, que peut-être il y aura une intrigue policière, tout cela tend une longue traine narrative, assez lâche, mais séduisante et intrigante.

Le récit du banquet constitue un vibrant hommage à Rabelais. Il est trop riche, trop nourrissant, trop de bouffe, trop d’alcool, trop de mots, cela fait plaisir à lire. Et il y a 99 fromages à déguster.

Bémol : la fin n’en finit pas. Il aurait fallu tailler cela à la faux.

 

« Et maintenant, maintenant mes bons fossoyeux, mes creuseurs de tombes adorés, vivons, bas-beurre de baratte à couilles ! Mangeons et parlons ! Portons à nos bouches ces chairs mortes ! »

Ils fallait voir les quatre-vingt-dix-neuf convives lancer leurs pognes vers les terrines, le pain, tailler des tranches, les superposer, un ou deux s’étranglaient, crachaient, toussaient.

 

Un livre prêté par Maman !

L’avis de Karine.



11 commentaires:

keisha a dit…

J'ai tourné autour, tu confirmes que ça peut être longuet, ma foi, pourquoi pas? Il est à la bibli.

nathalie a dit…

Laisse-toi tenter !

Dominique a dit…

je viens d'attaquer un roman qui se passe au moyen âge qui fournit mille mots oubliés, j'adore ça , du coup ce roman d'Enard jamais lu me tente un brin même ou plutôt surtout s'il y a un simplet dans l'histoire :)

miriam a dit…

Je ne connais pas Enard dans ce registre. Pourquoi pas ?

Marilyne a dit…

Comme Keisha, j'ai tourné autour, attiré par la fantaisie annoncée, par ce trop. Bien envie d'être gourmande.

nathalie a dit…

Il faut que tu tentes en effet !

nathalie a dit…

Il s'agit de son dernier roman.

nathalie a dit…

Il faut avoir un bon estomac face à ce banquet !

Passage à l'Est! a dit…

Je vais commencer par ses livres plus anciens (surtout évidemment ceux qui parlent d'Europe centrale). J'aime beaucoup ton Squelette dans un linceul assis sur un tombeau. Il a l'air tout petit mais plein de sentiments.

nathalie a dit…

J'ai seulement lu Parlez-leur etc. où le personnage principal est Michel-Ange, je ne connais pas ses autres titres.

Passage à l'Est! a dit…

Ah mais je l'ai aussi lu! (j'avais oublié). Je pensais à Boussole, et quand j'écris qu'il parle d'Europe centrale c'est en fait principalement parce que le personnage principal est à Vienne! J'avais aussi bien aimé ce qu'il avait dit de Zone lorsqu'il était venu présenter Boussole à Budapest il y a x années.