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samedi 9 avril 2022

Iconographie : l'Annonciation

Billet iconographique, saison 2 et d’abord « la vie de Jésus avant Jésus ». J’ai hésité. D’un point de vue chronologique, il aurait été logique de commencer par la vie de Marie avant la vie de Jésus, mais je préfère me jeter directement dans le grand bain. Donc, en quelques billets, nous regarderons tout ce qui se passe avant la naissance de Jésus, c’est-à-dire pendant la grossesse de Marie.

Aujourd’hui, le plus gros morceau iconographique : l’Annonciation.

 

Les grandes lignes du récit : Marie est fiancée à Joseph. L’ange Gabriel lui apparaît pour lui annoncer qu’elle portera le fils de Dieu alors qu’elle est vierge. Elle répond : « Je suis la servante du Seigneur », acceptant par là-même sa mission.

Des milliers de lignes ont été écrites sur le sujet et des milliers de représentations ont été réalisées. Certains d’entre vous ont peut-être lu l’ouvrage de Daniel Arasse consacré aux Annonciations de la Renaissance italienne, où il met en rapport l’invention de la perspective géométrique avec le contenu théologique du sujet (c'est brillant, lisez Arasse, on a l'impression d'être intelligent).

Jésus est à la fois fils de Marie, un vrai être humain, et conçu de l’Esprit Saint, c’est-à-dire un vrai dieu. C’est un moment clé pour le dogme chrétien, puisque c’est le moment où Dieu s’incarne et où est lavé le péché originel d’Adam et Ève. Cela explique que les représentations sont à la fois très anciennes, très nombreuses et très diversifiées.

 

En premier cette Annonciation en bois (Sienne XIVe siècle, Lyon BA). Les figures sont plus grandes que nature et elles sont vraiment superbes. Maris porte une robe toute simple et son corps dessine une douce courbe, marquant la surprise devant ce qui lui arrive. Devant elle se tient Gabriel (qui a perdu ses ailes), qui tente de la rassurer. J'aime beaucoup le superbe vêtement de Gabriel, avec ses petites fleurs peintes.


Avec cet exemple, vous comprenez qu'une sculpture de la Vierge ou d'un ange peut en réalité constituer le fragment d'un groupe sculpté figurant l'Annonciation.


L'exemple le plus ancien de mon ordinateur date du XIIe siècle et il est visible à Selles-sur-Cher si vous levez la tête pour observer l'abside de l'abbatiale ! Tandis que Marie est assise, face au spectateur, l'ange tombe littéralement du ciel (pas facile de caser ses grandes ailes dans un carré !) et la collision est imminente. Le trait est simple et schématique, mais non dépourvu d'une certaine efficacité.


Annonciation de Benedetto Bonfigli (1455, tempera sur bois, Thyssen Bornemisza). Les belles Annonciations du Quattrocento avec leur dorure et leurs couleurs intenses ! Le tableau est très riche. Il sera difficile de tout noter. Marie porte le manteau bleu, l'auréole et un voile sur les cheveux.  Elle est agenouillée sur un petit support qui la rehausse. Elle lisait ses prières avant d'être interrompue. Gabriel tient le lys. Iel est en or et en rouge et ses genoux reposent sur un coussin. Entre eux deux, les paroles s'affichent en lettres d'or et flottent dans l'air : l'Annonciation ne représente pas une action mais un échange verbal. Le Verbe divin s'incarne... en étant fixé par le peintre. Nous voyons Dieu, l'Esprit Saint et puisque Jésus est déjà là, la Trinité est au complet. Les personnages se tiennent dans un riche palais à l'antique et à l'arrière-plan on voit la ville de Jérusalem (on reconnaît le Saint-Sépulcre).

Oui, Jésus est à peine présent que Marie lit déjà des livres d'heures et que le Saint-Sépulcre est déjà constuit. C'est le présent éternel de la peinture.


 

Une Annonciation que l'on peut dire assez canonique : toile d'Allori d'après une composition d'Andrea Del Sarto (XVIe siècle, Tours BA). Vous reconnaissez Marie, en vêtement simple et élégant, les cheveux couverts d'un voile transparent, avec ce geste de surprise et d'acceptation. Près d'elle, se tient un livre qu'elle vient de lâcher (sans doute un livre d'heures vu sa taille). Et Gabriel, en orange vif. Le lys est la fleur symbole de la Vierge.


L'Annonciation de Paris Bordone (1545 Caen BA). Le dispositif architectural complexe ne vise pas tant à représenter la maison de la Vierge sous forme de palais qu'à donner une représentation très théâtrale, avec un effet de profondeur et de perspective et une ouverture sur le fond, au centre de la toile. Marie se tient, elle, dans une alcôve fermée par un rideau.


J’ai un goût certain pour les anges, ce plumage coloré, cette silhouette légère et ces étincelles de surnaturel qui caractérisent le messager de Dieu. Ici celui ou celle de Paris Bordone, surmonté.e de nuées célestes et précédé.e de la colombe du Saint Esprit. Et celui/celle du Greco (Annonciation, 1570, Fondo Cultural Villa-mir), peint.e d'une pâte épaisse et tourmentée. Iel retient ses vêtements et effectue l'annonce en même temps, à peine posé.e sur le sol. Iel désigne le ciel, d'où iel vient.

(c'est pratique l'écriture inclusive pour parler des anges)


Il y a des créations originales ! Annonciation de Martin Schongauer (et de son entourage) (1480, Colmar Unterlinden). Ici la scène se tient dans un jardin clos, qui n'est pas sans faire écho au Paradis originel d'où l'être humain a été chassé. L'Annonciation se double ici d'une chasse à la licorne, ce qui souligne bien la virginité et la chasteté de Marie. Gabriel est donc précédé.e d'un attelage de lévriers (qui portent le nom de plusieurs vertus). Iel porte lance et trompe de chasse. Sinon Dieu le père et le lys sont bien présents. 


Image Wikipedia.

Il y a des objets plus complexes. Ce Triptyque dit de Mérode attribué à l'atelier de Robert Campin (1425, The Cloisters). Les donateurs sont représentés sur le volet de gauche (l'oeuvre est sans doute d'usage privé). Au centre, nous sommes juste avant l'Annonciation : Marie est en train de lire et ne s'est pas encore aperçu de la présence angélique. Gabriel est surmonté.e d'une minuscule Crucifixion qui prend la place de la traditionnelle colombe et indique que Jésus est déjà là ! À droite, Joseph travaille dans son atelier.

Campin, c'est une star des primitifs flamands (si vous avez loupé votre première année d'histoire de l'art). Dans ce tableau, les détails et le symoblisme abondent, parfois de façon troublante. Je vous laisse en prendre connaissance sur la page Wikipedia. Il y a notamment des allusions à l'Ancien testament et à la future crucifixion de Jésus. Bon, et Joseph qui fait des trous avec cet objet pointu... euh... vraiment ?

On peut aussi simplement se plonger dans le charme de ces objets de peinture et l'arrière-plan de la vie d'une ville.



Il y a la malaisante Annonciation d'Henry Tanner (1898 Philadelphie). L'ange est symbolisé.e par cette colonne de lumière, dans une optique sans doute assez mystique, mais la tête de Marie, ainsi que la situation (le lit en désordre, la pauvrette cachée sous les couvertures), donnent une tonalité assez troublante et dérangeante à la scène.


Image prise sur le site du Musée Unterlinden

L'Annonciation d'Otto Dix (sans doute en collection privée) est également assez troublante. La Vierge est une toute jeune fille craintive et coincée dans la toile, acculée par un.e ange qui prend toute la place. Elle n'a pas encore accepté. L'ange est très beau/belle, avec ses plumes en guise de cheveux et ce plumage bleu.

 

Il y a d’autres annonciations dans la Bible, celle faite à Sarah dans l'Ancien Testament est la plus connue.

Nous nous arrêtons là pour cette semaine. Le week-end prochain, nous suivrons le déroulement de cette grossesse peu ordinaire.



 

10 commentaires:

  1. Ah j'avais bien constaté que tu restais prudente en ce qui concerne le sexe des anges (on aurait pu en discuter des siècles ^_^). Dans Indésirable d'Erwan Larher, iel est utilisé (personnage indécidable), mais le . est évité avec ae (e dansl'a) pour le participe passé.
    J'ai bien remarqué la sculpture. j'aime beaucoup la statue de Marie, toute longiligne;

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    1. Oui la sculpture de Lyon est superbe, très élégante et délicate.

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  2. les Annonciations sont parmi mes tableaux préférés tous peintres confondus
    un comble pour moi qui suis une incroyante absolue ! mais ces tableaux là me touchent, m'enchantent et ce depuis toujours
    j'aime bien découvrir grâce à toi quelques Annonciations inconnues

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    1. C'est un joli mythe et les tableaux sont souvent superbes, dans des genres très différents.

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  3. Me voici enfin. Superbe, l'iconographie, l'article. Etant une grande fan d'icônes, je retrouve régulièrement l'Annonciation. Je découvre les plus " modernes ", je n'aurai jamais imaginé en voir une signée Otto Dix !

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    1. Les interprétations récentes sont intéressantes et oui, il y a des artistes que l'on n'imagine pas !

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    2. Je suis ton conseil, je viens de sortir de mes étagères un livre de D.Arasse coincé là depuis un moment ( c'est un premier pas vers la lecture :))

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    3. Faudrait que je relise Le Détail pour être honnête.

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  4. Est-ce que tu prévois aussi de nous donner un aperçu de l'éducation de Jésus - je pense au malicieux tableau "Marie donnant la fessée à Jésus" d'Otto Dix (titre approximatif)?

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    1. Oui il y aura un chapitre sur ce sujet mais je ne sais pas quand. Je ne connais pas ce tableau, je le note, c’est une idée.

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