Ramón Sender, Requiem pour un paysan espagnol, traduit de l’espagnol par Jean-Paul Cortada, paru en 1953 au Mexique, en 1976 en Espagne et édité en France par Actes Sud.
Mosén Millán, le curé du village, s’apprête à dire la messe de requiem pour Paco, un jeune homme tué un auparavant. Il se prépare et prie, mais l’église reste désespérément vide. Il se remémore toute la vie de Paco, du baptême jusqu’à la fin. Un village où les paysans paient des sommes astronomiques au duc pour le droit d’utiliser des terres et où les pauvres vivent dans des cavernes. Mais les temps changent. Le roi quitte le pays, des élections ont lieu et Paco et les conseillers municipaux sont décidés à transformer la vie des gens. Hélas, nous savons qu’il n’en sera pas ainsi et que des jeunes gens faisant des saluts bizarres viennent avec leurs fusils.
À la fin du petit livre (90 pages), la messe débute devant une église vide.
Il entrait maintenant par les fenêtres de la sacristie une odeur d’herbes brûlées, et Mosén Millán, sans cesser de prier, trouvait dans cette odeur les regrets de sa jeunesse à lui. Il était vieux et il arrivait – c’est ce qu’il se disait – à cet âge où le sel perdu son goût, comme on lit dans la Bible. Il priait entre ses dents, la tête appuyée à cet endroit du mur où, le temps passant, une tache sombre s’était formée.
Pour l’âme de qui le curé dit-il cette messe ? Celle de Paco, lâchement assassiné par les tenants de l’ordre ? Celle des assassins, celle de l’Espagne en proie à la guerre et à l’asservissement, celle du village, ou la sienne propre ? Parce que le brave curé que tout le monde aime bien n’a pas le beau rôle et s’il ne semble ressentir aucune culpabilité (encore que… il peut se la dissimuler à lui-même), le village, lui, ne semble pas s’y tromper.
Zurbarán, Saint François d'Assise momifié debout, 1640 Lyon BA |
Le récit prend ainsi l’allure d’une fable. Les mœurs villageoises y sont décrites avec précision, les repas du baptême et de la noce, les fêtes religieuses, les imprécations de la guérisseuse, les discussions échauffées, les histoires qui circulent au lavoir… Le texte est intemporel. Une chanson a même été composée sur la mort du jeune héros, une chanson qui ressemble aux complaintes anciennes ou aux histoires de la Semaine sainte. C’est une fable, mais une fable sinistre et tragique.
Le ton est conté avec une sobriété de ton et une grande retenue.
Assis dans un fauteuil, le curé attendait, la tête penchée sur sa chasuble des services de requiem. La sacristie sentait l’encens. Dans un coin, il y avait un bouquet de petites branches d’olivier, celles qui étaient restées du dimanche des Rameaux. Les feuilles étaient toutes sèches, on aurait dit du métal.
C’est le début.
Etrange histoire, intemporelle? (quoique)
RépondreSupprimerOui, intemporelle et ancrée dans un lieu et moment précis.
Supprimerj'aime cet auteur dont j'avais lu ce livre là et Le Gué même si les romans sont connotés par rapport à un lieu, la nature humaine qui est mis en avant est bien elle intemporelle
RépondreSupprimerJe le découvre pour ma part (on m'a prêté le livre) mais j'ai bien envie d'en lire d'autres après ce titre très fort.
SupprimerJe ne connaissais pas du tout cet auteur. Merci pour ta participation.
RépondreSupprimerOn me l'a prêté juste au bon moment pour le mois espagnol ! C'est une belle découverte.
SupprimerInterdit en Espagne jusqu'à la mort de Franco, donc !
RépondreSupprimerExactement.
SupprimerJe garde un grand souvenir de cette lecture, brève mais intense. J'apprends par ton billet l'existence de ce mois espagnol.
RépondreSupprimerIl est espagnol et latino américain (portugais accepté), mais moi je le fais uniquement espagnol !
SupprimerMerci pour le lien. Tu me rappelles un très bon souvenir de lecture, c'est un livre très fort !
RépondreSupprimerOui, très court et très simple, mais très fort.
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