La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 5 mai 2022

En temps de guerre, le temps ne vole pas, il est à ce point occupé qu’il disparaît.

 Max Aub, Campo de sangre et Campo francés, tome 3 et tome 4 du Labyrinthe magique, traduit de l’espagnol par Claude de Frayssinet, parution originale 1945 et 1965, édité en France par Les Fondeurs de briques.

 Campo de sangre

Nous sommes en 1938 à Barcelone. La guerre environne la ville, mais il est encore possible de fuir à l’étranger. Les armes promises n’arrivent pas. Et les fascistes ont annoncé qu’ils bombarderaient la ville toutes les 2 heures jusqu’à reddition du gouvernement. En parallèle, les combats se mènent à Teruel.

Nous suivons un groupe de personnages, qui se connaissent plus ou moins étroitement. Un médecin, bon vivant qui refuse d’abandonner des amis au prétexte qu’ils ne partagent pas ses idées, un communiste qui choisit l’action, un autre qui essaie de concilier les consignes et la conscience, des indics de la police – c’est qu’il n’y a plus rien à manger. Peu de femmes (je l’ai regretté, d’autant que le roman se pare de quelques réflexions homophobes sorties d’on ne sait où), même s’il y a des actrices des plus réussies.

Mon avis est un peu partagé dans la mesure où pour moi Aub réussit particulièrement bien à camper une atmosphère de ville assiégée, d’amitié suspendue, d’incertitude, d’individus perdus dans ce monde guerrier où l’innocence est impossible. Les dialogues et la description de la ville sont extrêmement réussis. En revanche, je suis toujours plus allergique aux débats théoriques sur la responsabilité de l’individu, la mort, le destin de l’Espagne et ce genre de choses.

Mais il y a la très belle évocation de l’existence d’une famille bourgeoise au début du roman, une histoire d’amour et de longues nuits d’amour, les rumeurs en ville, le sauvetage des tableaux du Prado, des gens qui se disent adieu, mais sans le dire parce qu’on ne dit pas ces choses-là, les bombardements et la population qui se réfugie dans le métro.

 

Un ciel noir s’abat sur la ville noire. On devine les fantômes des spirales de tourbillons de fine neige, la gelée boueuse glisse sur le sol fangeux. Sous le long éclair des phares des automobiles brillent les légers rayons de pluie et les flaques piquetées. Il pleut depuis toujours et pour toujours, il fait froid pour toujours : très dure épée. Les sirènes se mettent subitement à hurler, elles s’élèvent comme le vent, elles enveloppent la ville en hurlant à la mort.

Whishaw, Corrida, 1955, Tate
 

Campo francés

Ce volume-ci est très court et très bon !

En 150 pages, il raconte l’exil des Républicains en France et leur internement dans des camps de concentration, avec tout ce que la France compte de communistes et de gens pas Français un peu louches. C’est le récit de la France ignoble, qui arrête et déporte, affame et frappe, tue quelquefois. Certains parviennent à obtenir un visa pour le Mexique (comme Aub lui-même), d’autres manquent d’être envoyés en camp de travail en Algérie. Le roman s’arrête au début de la Seconde guerre mondiale.


Vacarme des avions. Les nuages sont sectionnés. Les gens se lancent des regards angoissés. Le ciel débarrassé de quelques nuages. Vrombissement des avions. Des gens, à genoux dans le fossé, regardent le ciel. Les gens à la débandade. Une femme à travers champs, avec un enfant dans les bras et tenant un deuxième par la main. Un groupe la suit, d’autres la dépassent.


Ici c’est un couple qui constitue le fil conducteur : Julio, un homme qui ne se mêle pas de politique, mais arrêté à la place de son frère, qui prend peu à peu conscience de la barbarie de l’arbitraire, et Maria, une femme ordinaire qui se révèle progressivement à elle-même, comme de ces femmes qui s’acharne à faire sortir son homme, qui est capable de toutes les audaces et qui prendra la tête de la révolte. Le roman s’achève sur ce très beau personnage de femme (enfin ! bravo Aub !) et sur l’espoir apporté par le cri de révolte d’hommes libres – libres dans leur esprit.

Le tout est écrit d’une façon très particulière, comme un scénario de film, avec des annotations courtes, des dialogues comme des bribes de conversations saisies au vol. Le texte des actualités entrecoupe régulièrement la narration. C’est rapide et cinématographique et très efficace.

Il y a une belle Marseillaise qui clôt le roman et qui n’est pas sans rappeler celle de Casablanca.

 

Combs. – Je vais vous apprendre à vivre !

Une voix. – À mourir.

Combs. – Quoi ? Qu’est-ce que vous avez dit ?

Julio. – Rien.

Combs (hurlant). – On ne dit pas rien, mais rien, mon lieutenant. Répétez-le trois fois à voix haute.

Julio (tremblant de colère). – Rien, mon lieutenant. Rien, mon lieutenant rien. Pardon : Rien mon lieutenant.

 

Le Labyrinthe magique est une grande fresque consacrée à la guerre d’Espagne, mais ce n’est pas une série, les volumes peuvent se lire indépendamment. Je vous conseille le deuxième, Campo abierto, qui est le meilleur et le mieux construit. Il raconte la mobilisation de la population civile de Madrid pour soutenir le siège et se défendre contre l’armée fasciste. Il rappelle douloureusement l’actualité, mais il est plein d’espoir. Et je vous conseille également ce Campo francés.


Max Aub sur le blog :

Crimes exemplaires et 2nd billet sur le même
Le Labyrinthe magique. 1 Campo cerrado. 2 Campo abierto

 Il s'agit de ma deuxième participation au mois espagnol de Sharon - il y en aura peut-être une troisième. En attendant, estoy de vacaciones.





10 commentaires:

dominique a dit…

J'ai déjà beaucoup lu sur la guerre d'Espagne mais c'est un sujet qui me passionne donc je note cet auteur que j'avais déjà croisé chez toi je vais voir si je trouve facilement ce livre

keisha a dit…

Par manque de connaissances sur le sujet, j'ai du mal avec cette partie de l'histoire, hélas.

nathalie a dit…

En France, à part Malraux, on ne lit rien sur le sujet.

nathalie a dit…

En général il faut le commander. J'espère que cela t'intéressera !

miriam a dit…

A ce propos je te signal le très beau film d'animation Josep!

nathalie a dit…

ah ça ne me dit rien du tout, je note.

Anonyme a dit…

Bande annonce et court billet sur mon autre blog Toiles nomades blogspot

miriam a dit…

https://carnetsdemiriampanigel.blogspot.com/2020/10/josep-daurel-film-danimation.html

claudialucia a dit…

Je sens que ces livres pourraient me plaire et d'autant plus que je ne suis pas allergique aux débats théoriques ou politiques !
Tu as déjà beaucoup lu sur la guerre d'Espagne alors tu connais peut-être : Les soldats de Salamine de Cercas, l'art de voler (BD) d'Altabirra, le crayon du charpentier de Manuel Rivas, pas pleurer de Lydia Salvayre ? Il y en a d'autres mais ceux-là, ce sont des livres que j'ai adorés, vraiment !


nathalie a dit…

J'ai lu Cercas oui, et chroniqué sur le blog. En revanche je note la BD et le livre de Rivas (j'ai déjà essayé de lire un autre titre de Salvayre, mais ça n'avait pas été une grande réussite). J'essaie de m'intéresser à la littérature espagnole, que je connais mal. Merci pour les suggestions.