La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 28 juin 2022

Je le sais maintenant. À l’époque, non.

 Saul Bellow, Les Aventures d’Augie March, traduit de l’américain par Michel Lederer, 1953, édité en France par Gallimard.

 

Un roman d’apprentissage en Amérique.

Le narrateur, Augie March, nous raconte son enfance et sa jeunesse à Chicago, avant la Seconde guerre, ses tribulations, sa famille, ses petits boulots, ses errances, ses amours. Quand le livre s’achève, 900 pages plus tard, il est à Paris, marié et il gagne de l’argent. Il prétend savoir où il veut aller, mais le lecteur peut en douter.


En disant « divers boulots », je fournis, façon de parler, la pierre de Rosette de ma vie entière.


Bien sûr, ce n’est pas un héros glorieux. Ce n’est pas non plus l’histoire d’un homme qui, à force de boulot et de sueur, d’intelligence et de combine, parvient à s’établir. Ni celle de l’homme parti de rien, qui renverse tous les obstacles, seul contre tous. Non, c’est un homme, grand et plutôt bien de sa personne, sympathique, qui aime lire, qui ne sait pas trop ce qu’il veut. Être riche, mais sans être trop désagréable. Tomber amoureux et se faire avoir. Aider ses amis au risque de perdre des soutiens. Il a des amis et deux frères, il n’abandonne pas sa mère, lui-même parvient toujours à rebondir, mais sans avoir l’impression de progresser. Dure vie que d’un jeune homme pauvre pendant la Grande dépression. Le narrateur ne semble pas animé d’une volonté propre et forte, en dépit du fait qu’il répète que l’important est d’avoir un but dans la vie et de s’y tenir. Lui-même semble plutôt suivre les influences de ceux qu’il rencontre, se conformer à leurs attentes, jusqu’au jour où il se défile et les déçoit et repart de zéro. Accumule-t-il de l’expérience ? Difficile de le percevoir.


Toutes les influences que j’allais subir m’attendaient, alignées les unes derrière les autres. J’étais né, et elles devaient me former, c’est pourquoi je vous parle davantage d’elles que de moi.


Augie dresse le portrait de celles et ceux qu’il croise. Son frère Simon, des communistes (et même Troski qui traverse le livre comme une légende), des travailleurs pauvres de toute sorte, un homme d’affaires en fauteuil roulant, une femme qui l’emmène au Mexique pour dresser un aigle à attraper les lézards, des bandits, un fou furieux au milieu de l’océan Atlantique, etc.


F. W. Seiwert, Les Travailleurs, 1925, Kunstpalast Düsseldorf
Bon, je feignis ne pas comprendre parce que ça m’arrangeait de le faire passer pour ridicule, mais je savais pertinemment ce qu’il s’efforçait de dire. Ce n’est pas que la vie doive se terminer qui est si terrible en soi, mais qu’elle doive pour l’essentiel se terminer sur tant de déceptions. C’est une réalité.


Il y a cette langue particulière, un peu tortueuse, qui ne va pas de soi, où les allusions historiques ou mythologiques affleurent sans cesse, instillant le très vague souvenir d’une épopée inatteignable dans le récit. Une langue vive, ironique, d’une ironie noire.

C’est un roman picaresque et un grand livre sur Chicago et sur les quartiers pauvres où s’entassent ceux qui vivotent d’un boulot à un autre. La morale de l’histoire : ce n’est pas parce que l’on échoue à se fabriquer un destin que l’Amérique n’existe pas.

 

À la vérité, j’en ai plus qu’assez de tous ces grands personnages, ces forgeurs de destin, ces cerveaux nourris à l’eau lourde, ces Machiavel et ces sorciers malfaisants, ces huiles et ces décideurs, ces absolutistes. Après que Basteshaw m’avait frappé, je m’étais juré de ne jamais faire preuve de sensibilité. Mais ce serment est sans doute un serment à la des-souris-et-des-hommes, car le spectre du colosse se dressait au-dessus de moi. Oh ! là là ! On n’en a jamais fini, on ne fait que le croire !


De Saul Bellow, j'ai également lu Herzog - deux fois !




8 commentaires:

Dominique a dit…

un auteur jamais lu !! bizarrement il ne m'a jamais attiré

nathalie a dit…

C'est vrai que je ne suis pas sûre qu'il te plairait !

keisha a dit…

Je n'ai lu que Ravelstein, cela m'avait plu, comme découverte.

Marilyne a dit…

Je connais peu cet auteur, lu un seul livre ( la Bellarosa connection ), qu'il faudrait que je reprenne. Je reconnais le tableau, il m'a interpellée à l'exposition.

nathalie a dit…

Ah je ne l'ai pas celui-ci. Il est à venir !

nathalie a dit…

Le tableau plaît beaucoup en général, il est frappant !

miriam a dit…

Je te recommande avant de s en aller une conversation entre Norman Manea et Saul Bellow qui m a donné envie de relire Singer quand j aurai fini je retournerai à Saul Bellow

Nathalie a dit…

J’ai lu ton billet. Je ne connais pas Manea. Je ne suis pas trop tentée, je ne sais pas.