Gabrielle Roy, Bonheur d’occasion, 1945.
Le grand roman des classes populaires de Montréal juste avant la Seconde guerre mondiale.
Florentine est serveuse dans un petit restaurant. Elle y rencontre Jean, un jeune homme plein d’ambitions et de failles. Mais il y a aussi sa famille : sa mère qui enchaîne les grossesses et s’efforce de faire vivre tout le monde, son père qui ne parvient jamais à trouver un bon travail, ses frères et ses sœurs et quelques autres jeunes gens. Tous cherchent sans cesse du travail, de l’argent, un logement décent, ou rêvent devant tous les objets exposés dans les vitrines. Et puis la guerre s’annonce, avec sa promesse de travail et d’argent.
Alors, tout lui fut rêve et, bravement, elle entra dans le rêve pour y jouer son rôle. Et cependant, tout lui fut effort douloureux pour y vivre à la hauteur du rêve.
Un très beau roman qui met en scène des personnages attachants. Pas tous bien sûr, il y a des calculateurs et Florentine qui enterre un espoir mais s’acharne à trouver sa voie.
Il y a le décor initial, celui de ces pauvres qui calculent chaque sou et pour qui tout est compliqué. Pour certains, à chaque fois, le boulot trouvé est plus précaire et moins rémunérateur. La mère s’acharne à chaque coup du sort à trouver une solution pratique pour faire manger les petits et leur trouver des vêtements. Elle ne baisse pas les bras et malgré les déceptions apportées par la vie et par son mari le couple conserve son attachement l’un pour l’autre. À côté d’elle se tiennent les enfants, le petit malade, la petite qui veut devenir religieuse, les garçons dont on ne sait pas bien comment ils vont tourner, la fille aînée qui travaille et apporte ses paies à sa mère, mais qui est bien décidée à ne pas avoir la même vie.
Marcel Dargis, Hommage à Gabrielle Roy, La Malbaie |
Alors Florentine s’aperçut qu’elle était seule au monde avec sa peur. Elle entrevit la solitude, non seulement sa solitude à elle, mais la solitude qui guette tout être vivant, qui l’accompagne inlassablement, qui se jette soudain sur lui comme une ombre, comme un nuage.
Et la guerre arrive. Pas encore la guerre, ni même la conscription, mais l’engagement volontaire des hommes qui voient là une solution à leur misère, à leur recherche d’emploi, à leur sentiment d’échec, à leur besoin d’avoir une identité. Nous voyons cela à travers les yeux d’Emmanuel, un beau jeune homme plein de sentiments. Nous assistons à la scène où les jeunes soldats se rassemblent et quittent la ville. Combien reviendront ? Combien seront regrettés ?
J’apprécie particulièrement les portraits des personnages, leur humanité, la façon dont les désirs, les espoirs, les déceptions, se composent en eux de façon changeante, les faisant agir à rebours de leur intérêt ou au contraire de façon inspirée.
Le vent hurlait tout au long de la chaussée déserte, et la neige sur ses pas se levait fine, éblouissante, sautait dans l’air, venait ramper au bas des maisons et remontait encore en bonds désordonnés, comme une danseuse que poursuit le claquement du fouet. Le vent était le maître qui brandissait la cravache, et la neige, la danseuse folle et souple qui allait devant lui, virevoltait et, à son ordre, venait se coucher par terre.
L’avis de Karine. Une autrice. Lire au Québec.
C’était la première fois que je lisais un roman écrit dans ma ville où la vertu et le bon ordre ne régnaient pas en maîtres absolus, où la religion catholique ne répondait pas à toutes les questions, où Dieu n’était pas automatiquement au bout de chaque destin, et je n’en revenais pas. Le chaos existait donc à Montréal ailleurs que dans mon âme ? (…)
Il n’y avait pas de morale dans le livre de Gabrielle Roy, la pauvreté ne s’expliquait pas, la lâcheté n’était pas punie, une jeune fille enceinte n’était pas coupable d’un ineffaçable péché, la guerre n’était pas une mission noble pour sauver la démocratie mais une monstruosité qui écrasait les petits et protégeait les riches.
Un roman dont j'avais appris l'existence grâce à Emma/Bookaroundthecorner et qui avait été une découverte à plusieurs titres: Montréal avant la guerre, un écrivain du Québec et plus précisément une femme écrivain du Québec avant la guerre... Et le roman m'avait beaucoup plu, pour des raisons très similaires aux tiennes.
RépondreSupprimerC'est vraiment sympa de pouvoir non seulement lire les livres des auteurs d'avant, mais aussi de les retrouver sur leurs lieux de passage ou dans l'imagination (ou, dans ton cas, dans les tableaux) de personnes qui les ont côtoyés - même si les tableaux en question ne sont pas dans un style qui m'attire particulièrement!
C'est tellement rarissime que je lise un livre et qu'un mois après je vois le tableau qui fera l'illustration parfaite, et que je puisse publier un billet sur les musées sur l'artiste en question. Le combo parfait !
SupprimerUn billet avec des échos de ci de là! J'ai lu ce titre de Tremblay, et connais G Roy de nom. Bon, le mois au Québec démarre fort chez toi ( je n'ai rien prévu)
RépondreSupprimerJe crois que ce sera ma seule lecture québécoise (lue en juillet), même s'il y a l'espoir d'une seconde. C'est un titre extrêmement connu, mais pas chez nous hélas.
Supprimerune auteure que j'ai très peu lu mais j'avais apprécié ma lecture j'aime beaucoup ce petit portrait qui a beaucoup de charme
RépondreSupprimerEt le peintre est toujours vivant, ce qui est rare sur le blog !
Supprimerje vais me remettre ce mois-ci à quelques lectures québécoises !
RépondreSupprimerJ'ai un stock important, mais pas sûre de m'y mettre vraiment.
SupprimerJe n'ai jamais lu Gabrielle Roy, mais "L'ange cornu" de Tremblay m'a laissé un souvenir marquant, tu as raison de souligner que c'est un livre particulièrement savoureux pour les grands lecteurs !
RépondreSupprimerOui je l'ai relu avec un grand plaisir, il y a plein de choses si justes.
SupprimerUn livre très réputé au Québec. nous étions descendues à Montréal dans un Gîte du Passant qui avait pour nom l'e Bonheur d'Occasion (une excellent e adresse il y a maintenant un bon moment). Surprise de découvrir ce Canada d'autrefois. je l'ai toujours sur mon étagère. A relire peut être?
RépondreSupprimerJe l'ai prêté à des amis, le livre leur plaît beaucoup. Il a toute son actualité.
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