Semaine consacrée à l’Holocauste sur les blogs. Alors aujourd’hui je parle des tableaux MNR.
Il est bien connu que la Seconde guerre mondiale a donné lieu à une vaste opération de pillage. De façon générale, les juifs ont dû quitter leur travail et ils se sont vu confisquer leur commerce, entreprise, matériel. La spoliation a d’abord porté sur les instruments de travail et d’existence quotidienne.
Mais un volet non négligeable a également porté sur les œuvres d’art. Les nazis ont pillé les musées des pays occupés et les collections privées des pays occupés pour leurs propres musées ou pour leurs demeures personnelles ou pour les revendre et s’enrichir. Les galeristes juives ont dû fermer leurs galeries. D’autres galeries et les maisons de ventes aux enchères ont réalisé de fructueuses affaires. Les collectionneurs privés juifs ont été contraints de se défaire de leurs biens dans des conditions défavorables. Un certain nombre de personnes et d’institutions ont profité de la situation pour acquérir ces œuvres. Le sujet est à présent bien connu grâce des livres, des expositions ou des films (de Monsieur Klein à Monuments men).
Les cas de figure sont nombreux et mon propos reste tracé à grands traits.
Il y a par exemple le cas de toutes ces œuvres que les musées ont achetées pendant la guerre, sous l’apparence de la légalité, mais que recouvrent ces « achats » ? Récemment, le Louvre s’est engagé à passer en revue les conditions d’acquisition des œuvres arrivées entre 1939 et 1945.
Et puis après la guerre des milliers œuvres ont été retrouvées dans les demeures et les dépôts nazis sur tout le territoire du Reich. 60 000 d’entre elles ont été supposées venir de France et 45 000 d’entre elles ont été immédiatement rendues à leur propriétaire, entre 1945 et 1950. 13 000 ont été vendues par l’État vers 1950. 2200 ont été attribuées provisoirement aux musées nationaux en attendant d’être rendues à leur propriétaire véritable. Ce sont les œuvres MNR (sachant que toutes les œuvres MNR n’ont pas fait l’objet d’une spoliation), dont la grande majorité se trouve au Louvre, mais plusieurs sont aussi dans nos musées des beaux-arts.
Et puis il ne s’est plus rien passé.
Il a fallu attendre plusieurs dizaines d’années pour que les choses bougent et que les œuvres soient restituées, non pas aux survivants, mais aux familles de survivants.
Entre 1950 et 2022, 164 biens MNR ont été restitués (et 14 autres œuvres non MNR ont également fait l’objet de restitution), mais seulement 5 entre 1955 et 1993 et 66 depuis 2013. L’accélération du mouvement montre bien qu’il s’agit d’une question de prise de conscience et de volonté (on ne fera pas croire qu’il est plus facile de trouver les informations dans les années 2000 que dans les années 50).
Rappel à ceux qui se lamentent « parce que c’est trop dommage, ces œuvres méritent d’être vues par le grand public au lieu d’être enfermées dans un coffre » qu’il s’agit là de témoignages d’un crime contre l’humanité. On ne peut pas faire comme si les œuvres appartenaient à l'État. Ce n’est pas le cas. Le prétendre constitue une forme de négationnisme.
Par exemple, au musée Calvet d’Avignon, la splendide salle des merveilleuses peintures du XVIIIe siècle présente plusieurs peintures de Pannini et d’Hubert Robert et une de Joseph Vernet qui sont classées MNR. Cette salle ne devrait pas être aussi belle.
Alors, aujourd’hui, dans les visites des musées, on traque les cartels marqués « MNR ». MNR = Musées Nationaux Récupération.
Pour savoir qui est Rose Valland, c'est ici.
Vous avez peut-être entendu parler de la mission Mattéoli, qui a permis de relancer cette recherche. Plusieurs notices de la base de données ont été renseignées dans le cadre de cette mission.
C'est ma troisième et dernière contribution à la semaine commémorant l'Holocauste sur les blogs. Merci à Passage à l'Est et à Et si on bouquinait un peu pour cette initiative, qui nous empêche de nous reposer sur un "on connaît déjà tout ça". On ne connaît pas tout. Et il faut se souvenir.
Non, on ne connait pas tout! Fichtre, à l'heure d'internet et tout ça, on devrait avancer plus vite! L'origine de ces tableaux devrait faire que les musées s'en 'débarrassent'. Allez, le musée de T! ^_^
RépondreSupprimerJ'ai le sentiment que c'est connu sans être connu, notamment parce que ce sont beaucoup d'histoires individuelles, chacune un peu spécifique.
SupprimerUn grand pas en avant a été permis grâce à la volonté politique et sur le plan technique à la mise en ligne d'archives et d'inventaires.
C'est vrai que tant qu'il n'y avait pas la volonté de les restituer , cela ne pouvait pas avancer. Je vois par exemple pour le musée Calvet des oeuvres quej' mais je ne connaissais pas leur histoire.
RépondreSupprimerPour le musée Calvet, qu'est-ce qui empêche la restitution ?
RépondreSupprimerJe ne sais pas. Il faut reconstituer l’histoire des œuvres, qui les a achetées à qui, retrouver des descendants, un travail exigeant et minutieux.
SupprimerJe reproche au musée Calvet la discrétion de ses cartels.
Heureusement la base de données donnent plus d’informations.
Merci beaucoup pour ce billet-"truc spécial" qui soulève des questions vraiment très intéressantes. Tu parles du cas de la France, et c'est passionnant; les mêmes questions pourraient être posées dans pas mal d'autres pays et je pense ici à la Hongrie par exemple, où beaucoup de collections ont de toute manière été nationalisées après la guerre. Je me pose toujours la question quand je vois une oeuvre signalée comme étant entrée dans la collection de tel ou tel musée dans la deuxième moitié des années 1950. Et que dire des oeuvres emportées dans les valises des troupes soviétiques?
RépondreSupprimerUn autre cas de figure: les ayant-droit qui entament un procès contre un musée pour une oeuvre achetée pour une fraction de ce qu'elle aurait dû valoir si le propriétaire n'avait pas été forcé de vendre dans l'urgence. J'ai lu à propos d'un tel procès récemment, mais je ne me souviens plus où.
Bref, merci à nouveau d'enrichir notre semaine de lectures avec tes connaissances en histoire de l'art.
Les occupants ont pillé les musées et collections privées des pays occupés ("de tous temps" d'ailleurs, cela s'est toujours fait et cela se fait toujours), mais en général on considère que la France est le pays le plus concerné par les spoliations privées puisque le pays et Paris concentraient les plus grands galeristes, les artistes, les collectionneurs les plus réputés d'alors. Les maisons de vente aux enchères parisiennes ont fait des affaires en or à cette époque, tout comme certains collectionneurs américains ou d'autres pays, qui en ont profité pour acheter à bas prix des chefs d'oeuvres.
SupprimerTu m'apprends quelque chose, non pas que les Allemands ont spolié, ni que les musées profitent honteusement de cet état de fait, mais je ne connaissais pas la catégorisation MNR. Merci pour cette mise en lumière !
RépondreSupprimerJe précise que les tableaux dits MNR ne sont pas ceux qui ont été achetés par les musées pendant la guerre, mais ceux qui ont été retrouvés par les Alliés en Allemagne et les territoires du Reich et qui ont été attribués provisoirement à la France.
SupprimerEt oui il faut traquer les trois petites lettres sur les cartels des musées (ne pas visiter les musées avec moi, je peux être fatigante).
Tout simplement passionnant, après avoir vu le film : la Femme au tableau je m'étais intéressée au sujet mais j'ignorais cette catégorie reconnue par l'état qui devrait apparaitre de façon explicite dans les musées concernés
RépondreSupprimerje vais aller voir la liste car il doit y en avoir à Lyon je pense
merci pour ce billet
Oui, d'ailleurs le dernier tableau que je montre est trouve à Lyon. Mais il doit y en voir d'autres.
Supprimer