La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 11 avril 2023

Jamais je n’ai commis aucun péché. Je suis un honorable grand criminel.

 Halldor Kiljan Laxness, La Cloche d’Islande, traduit de l’islandais par Régis Boyer, publication originale 1943.

 

Un bon gros roman plein de littérature !

En Islande (et plus tard on comprend que l’on est au XVIIIe siècle), le petit peuple vit dans la misère sous le joug du colon danois. Au début du livre, la vieille cloche d’un lieu que l’on comprend être important pour l’île, à la fois cour de justice et parlement, est détruite pour être fondue et transformée en canon. Le lecteur fait la connaissance avec Jon Hreggvidsson, un coquin, un filou, un dur à cuire, qui chante les strophes des anciennes sagas, qui est arrêté pour une histoire de corde volée, puis flagellé pour des insultes et même accusé de meurtre. Ce personnage, sorte de fil conducteur, lui donne sa verve picaresque et son côté roman d’aventures. Parmi les autres personnages principaux, il y a Arnas Arnaeus, un noble Islandais, qui s’efforce de recueillir tous les manuscrits anciens, témoins de l’histoire et de la poésie du peuple, et Snaefrid, une belle jeune femme, altière, vêtue d’or et de bleu, prise dans des contradictions insolubles.


Ils disaient qu’à l’extérieur de cet entonnoir de l’Enfer, un peuple d’esclaves pouilleux traînait une vie lamentable à base de résidus d’huile de baleine et de requin pourri ainsi que d’aumônes du roi.


L’Islande est donc le personnage principal, île pillée par le Danemark et maintenue dans la misère. Les habitations y sont en tourbe et la corde, nécessaire à la pêche, y est rare. On y meurt de faim et les Danois considèrent ce peuple mangeur de requins comme étant à peine humain. Jon Hreggvidsson représente ce peuple islandais, toujours debout en dépit de sa condamnation à la décapitation. Le voici amené à fuir et il découvre des pays incompréhensibles (la Hollande, l’Allemagne) (ces passages sont assez drôles).


Pourquoi cette inquiétude, cette angoisse tremblante, ce vide, cette crainte d’un destin glacé : celui d’être abandonnée sans pouvoir revenir dans son pays, comme les Islandais du Groenland.

J. de Toulon, Portrait d'un couple, Toulon Musée d'art

Si Arnaeus est un personnage un peu décevant, trop faible, il a le mérite de mettre l’accent sur les sagas dont chaque Islandais peut être fier malgré l’actuelle misère. Snaefrid, elle, est un beau personnage de roman, impénétrable, incompréhensible, au-dessus des choix des simples mortels, se battant pour la dignité de son père et celle de la noblesse islandaise, silencieuse et méprisante, reine d’une saga nouvelle.

Les épisodes tragiques se mêlent aux épisodes cocasses : pacte avec le diable, discussion des condamnés à mort, combat avec une géante, grenier plein de pendus, ivrognerie, religieux obsédé par le péché, criminel ruiné et moqué une fois reconnu comme innocent.


Bien que les uns fussent grands et les autres, petits, les uns, larges de visage, et les autres, longs, les uns, blonds et les autres, bruns, collection de races les plus dissemblables, tous portaient un signe distinctif national commun : ils avaient de mauvaises chaussures.


Les souvenirs des explorateurs et des héros, de la poésie et de l’ancienne littérature nourrissent les conversations présentes. La langue mime les tournures anciennes et campe ainsi un monde lointain, dans l’espace et le temps, dans l’imaginaire aussi.

C’est un très beau roman, dense et riche, dont la langue m’a séduite, qui s’inscrit étroitement dans l’histoire islandaise et danoise, mais s’en échappe pour nous donner une vision presque légendaire.

 

Lorsqu’il était assis, il paraissait encore vert. Mais quand il se leva et prit son bâton, qu’il sortit appeler ses serviteurs pour les affaires de la matinée, on put voir à quel point il était décrépit. Il avançait en chancelant sur le plancher, à pas courts et boiteux, si courbé que les pans de son manteau traînaient, à l’avant, sur le plancher, tout en grimaçant pour réfréner les gémissements que lui avaient valus un mauvais repos dans cette dépendance glacée, si tôt en été.

 

Dans son introduction, Boyer rappelle bien tous les enjeux historiques de l’écriture du roman.

Le billet de Miriam.

On me l’a prêté à peu près au moment où Dominique publiait un billet sur Les Annales de Brekkukot, que j’ai évidemment très envie de lire également.




8 commentaires:

je lis je blogue a dit…

J'avais un gros apriori sur Laxness mais ton avis est convaincant. La citation avec les chaussures m'a bien fait rire.

nathalie a dit…

Ce n'est pas forcément facile à lire, mais c'est vraiment prenant !

keisha a dit…

Je ne peux dire que ce nom m'est inconnu, sans doute grâce à Dominique.

nathalie a dit…

Nobel de littérature, ce n'est pas un vulgaire pékin.

Dominique a dit…

Un roman avec lequel j'ai commencé la lecture de Laxness je te recommande les Annales de Brekkukot que je trouve personnellement plus ample plus joyeux aussi

nathalie a dit…

Ah je compte bien le lire, je suis totalement convaincue maintenant !

miriam a dit…

Un roman impressionnant : https://netsdevoyages.car.blog/2019/12/09/la-cloche-dislande-laxness/

nathalie a dit…

Ah j'ajoute ton billet. Tu as dû apprécier ta lecture si tu as eu la chance d'aller sur place et de visiter des fermes reconstituées.