La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 25 avril 2023

Vingt heures de trajet hier. Le déplacement m’a moins épuisé que la discussion.


Robert Byron, Route d’Oxiane, traduit de l’anglais par Michel Pétris, parution originale 1937.

 

En route donc pour l’Oxiane. Je n’ai aucune idée d’où ça se trouve. J’ai bien entendu parler de la Transoxiane, mais je ne sais pas non plus où c'est, là-bas, vers l’Orient lointain et mystérieux. Page 300 du livre, au milieu de l’Afghanistan, il est question du fleuve Oxus (le voilà !), mais il sera formellement interdit à nos héros de se rendre sur ses rives. Et maintenant le fleuve s’appelle Amou-Daria.

(on connaît des gens qui auraient pris la peine de consulter Wikipedia, mais pas moi, je pars, je fais confiance à l'auteur pour me mener quelque part)


Grimpant sur un toit voisin, je vois sept piliers bleu ciel, émergeant des champs arides, se dessiner sur un fond de montagnes aux tons délicats de bruyère. Au bas de chacun de ces piliers, l’aube trace un rehaut d’or pâle. Au centre lui un dôme-melon, bleu, dont le sommet a été mangé. La beauté du out ne doit rien au pittoresque, elle s’inscrit dans la lumière, dans le paysage.


Nous sommes donc en 1920, dans les colonies, protectorats et alliés de statut divers, sous le haut patronage de l’Empire britannique. Byron, tardivement rejoint par Christopher, part du Liban et veut se rendre dans les lieux d’origine de l’architecture islamique. L’Iran, la Perse, des pays que j’identifie mal, le Turkestan, l’Afghanistan et enfin l’Inde.


La beauté d’Ispahan s’insinue en vous presque à votre corps défendant.


Le voyage n’est pas de tout repos. Partout il faut des autorisations pour se déplacer et pour photographier. Il faut aussi des camions, qui s’embourbent, s’enlisent, franchissent les rivières, meurent et renaissent. Ou alors il faut des chevaux. Les routes disparaissent, emportées par l’orage ou par un éboulis, noyées par la neige. Et puis on risque fort de tomber malade aussi.

Être britannique constitue un atout dans cet univers, encore que l’on vous confonde aussi avec les russes, ou avec les espions – qui irait croire que seule l’architecture vous intéresse. Il vous faudra distribuer force courbettes et cigarettes, être aimable et patient, ou alors y aller au culot !

Mais Byron s’entête à décrire les monuments. On voit qu’il s’y connaît un minimum, n’hésitant pas à employer un terme précis et à décrire les supports, les matériaux, les ornements. Son admiration est sincère et son enthousiasme fait plaisir à lire.


De grandes spirales de poussière, dansant comme des démons au-dessus du désert, freinaient net l’élan de notre Chevrolet et venaient nous suffoquer. Soudain, à un moment, du fond d’une vallée nous parvint l’éclair bleu turquoise d’une jarre ballotée sur le flanc d’un âne. Le propriétaire de l’animal marchait à côté, vêtu d’un bleu plus sourd. À la vue de cet équipage perdu dans le grand désert de pierre, je compris pourquoi le bleu est la couleur de la Perse, et pourquoi le mot qui, en persan, désigne cette couleur, est le même que celui qui désigne l’eau.


Trésor de Nizami, Ouzbekistan 1538, BNF
Le tout est mené d’un ton so british, bien sûr. Caustique. Surtout le passage où l’auteur se grime en Persan pour accéder à quelque lieu sacré et interdit.

Ce livre ne se lit pas d’un trait à mon sens, je l’ai picoré soir après soir. C’est bien agréable Et on y apprend que les bouddhas de Bamyan étaient assez laids (et oui) (aucun regret !).

 

Même le mot voyageur est désuet. Et non sans raison : il serait trop élogieux. Le voyageur des temps anciens était celui qui partait, avide de savoir, et que les indigènes accueillaient à bras ouverts, fiers de montrer ce qui faisait leur originalité.

Ici, le touriste reste une erreur de la nature. Si vous venez de Londres et que vous vous trouvez en Syrie pour conclure aux affaires, c’est que vous êtes riche. Si vous faites un aussi long trajet sans obligation, c’est que vous êtes très riche. Personne ne se souciera de savoir si vous aimez l’endroit, ou s’il vous ennuie, ni se songera à vous demander le pourquoi ou de l’autre : un touriste est un touriste, comme une gale est une gale – un parasite obligé de l’espèce humaine, une vache qu’on trait pour son lait, un hévéa qu’on saigne pour son caoutchouc.

 

Le billet de Keisha illustré avec ses propres photos.

Merci Keisha pour la lecture ! Souvenir d’un dialogue autour de « ces récits de voyage Payot que l’on confond tous ».



6 commentaires:

keisha a dit…

J'avoue qu'à lire ce récit j'avais un avantage, celui d'avoir posé mes sandalettes dans certains coins... J'en ai encore du même tonneau, mais comment dire, je m'en suis lassée. Et puis, il n'est plus trop possible d'y aller. Trop tard. Les frontières se ferment.

nathalie a dit…

Oui c'est vrai que lire ces récits en se disant que c'est possible (même si on ira jamais) ou en sachant que c'est impossible et que les lieux sont fermés, ce n'est pas du tout le même esprit.

miriam a dit…

Ce livre est pour moi! pour me souvenir d'un voyage merveilleux en Ouzbékistan je vais le chercher.

Dominique a dit…

j'ai lu ce livre dans les années 80 et depuis je l'ai relu 2 fois avec toujours le même plaisir, cet Iran d'avant les Ayatollahs est un vrai plaisir et la plus de Byron est parfaite

nathalie a dit…

Quelle chance tu as eu !

nathalie a dit…

J'ai vu qu'un autre récit porte sur un voyage au Tibet et en Russie aussi.