La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 25 juillet 2023

Eh ! Regardez-moi, je descends le fleuve en canoë !

 

 

Eddy L. Harris, Mississippi Solo, traduit de l’américain par Pascale-Marie Deschamps, parution originale 1988.

 

Et si je descendais le Mississippi en canoë ? Voilà ce qui traverse l’esprit de l’auteur. Et il nous raconte son voyage. Et j’ai beaucoup aimé.

Nous sommes dans les années 80, sans téléphone portable, ni Google Map. L’itinéraire débute dans le Minnesota et s’achève à La Nouvelle Orléans. C’est un ruisseau profond de quelques dizaines de centimètres, puis un fleuve immense, canalisé par une trentaine d’écluses, parcouru par des convois de barges, aussi gigantesques que le reste du pays et devant lesquels un canoë ne pèse pas lourd. Il y a les oiseaux, le soleil et le vent, et la pluie.


Juste en aval des roseaux dorés, la rive du lac recule, se dégarnit comme la tête d’un vieillard. De grosses pierres barrent l’exutoire comme pour arrêter le flux, mais on n’arrête pas ce débordement. Le petit courant d’eau qui babille joyeux par-dessus les rochers est le début de quelque chose. Comme une boule de neige dévalant une montagne. Comme la prise de la Bastille. Comme un formidable soulèvement dont le moment est venu.


Il y a surtout les gens. Les mauvaises rencontres sont rares et la plupart des gens trouvent tout naturels d’avoir envie de descendre le Mississippi en pagayant et si besoin ils apportent leur aide. Surtout, ils discutent et se racontent. J’aime bien les rapports du narrateur avec eux. Il tient à sa solitude, mais sa solitude lui pèse. Il souhaite marquer leurs esprits (il veut que l’on dise « hey j’ai vu un gars aujourd’hui qui… ») et est presque déçu quand on trouve son voyage parfaitement normal. En réalité, ce sont les gens qui le marquent, puisqu’il est écrivain et prépare déjà la mise en forme de tout cela. Au bout d’une dizaine de pages, on comprend qu’il est noir et ce point constitue un sujet de réflexion pour lui. Au Minnesota, il n’y a pas de noirs. Plus il descend dans le sud, plus il y en a, mais il arrive alors dans le « Sud ». Lui, ce trentenaire cultivé, nourri de l’imaginaire tout à la fois glorieux, des belles maisons, des robes de coton et des boissons prises sous la véranda, et horrifique, de l’esclavage aux lynchages et aux discriminations, se découvre effrayé par ces territoires qui lui semblent inconnus. Il voit aussi la terrible pauvreté qui vit le long du fleuve.


Je suis à bout, je suppose. Cela dure depuis trop longtemps. Tant d’efforts sur tant de kilomètres ont sapé mes forces, bien sûr, mais à présent je vois que tout mon être est affecté. Je n’ai pas le cuir aussi épais que je le pensais. Je ne peux pas voir des gens aussi pauvres, leur horizon aussi borné, sans avoir envie de pleurer.

Cortor, Couple devant un paysage inondé par un barrage hydroélectrique
 1944 Brooklyn museum
À mettre en regard avec le billet qui sera publié samedi.


C’est un grand récit que je vous conseille. Il vous fera voyager loin de votre lit, de votre train ou de la salle d’attente de l’hôpital. Il dit que chacun accomplit ses défis, à sa manière. Harris a renouvelé son voyage en 2014 et le récit est traduit sous le titre du Mississippi dans la peau.


Des canards cancanent autour de moi, brisant le silence. Un faucon plane au-dessus de ma tête. Des coups de fusil résonnent au loin, des chasseurs de chevreuils. À part ça, je suis totalement seul ; la journée est si paisible et sereine que je peux entendre le souffle du vent dans les herbes hautes.


Il y a un hymne à la pêche à la mouche et toute la description des héros, castors et autres animaux, des barges, des remorqueurs et des écluses. Du poisson-chat à manger, ainsi que du gruau et des boîtes de haricots.

 

On entend résister aux orages et aux nuits froides, jouir du soleil et de la chaleur et engranger un maximum de souvenirs pour les vieux jours. Mais parfois, aussi obstinés et persévérants que nous soyons, aussi combatifs et acharnés, ça ne marche pas. On est obligé d’en sortir. Triste et douloureux. Longtemps après sa fin cependant, il fait encore partie de nous.

 

Observer le fleuve, remarquer ses changements de couleur, voir sa façon de s’élever et de retomber au gré du vent et de ce qui repose au fond de son lit. Chaque changement a quelque chose à dire et je l’écoute. Le fleuve me parle, passant de la couleur puce au brun, au vert dense et glauque. Sans rime ni raison. Le babil qu’on entend quand on se promène avec sa nièce ou son neveu préféré, sans but précis, sans idée arrêtée ; le gamin jacasse parce qu’il est à l’ais et qu’il en a envie. Le fleuve est ainsi avec moi.

 

J’en connais quelques-unes qui aimeraient certainement…


Est-ce que j’ai eu envie de relire La Vie sur le Mississippi de Mark Twain ? Pensez-donc ! En attendant, j’ai écouté ce documentaire.


 

11 commentaires:

  1. J'avais déjà noté, du même auteur, Le Mississippi dans la peau, le voyage trente ans plus tard. Pour celui dont tu parles, ça va être coton de mettre la main dessus.
    Tu as raison, c'est le créneau de certaines...

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    1. Il est édité en poche et Liana Levi l'a repris en 2020, autant dire qu'il se trouve dans tes bibliothèques. Aucune excuse de la part des certaines en question !

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  2. Oui, pourquoi pas le Mississippi. Mais j'ai cliqué sur ton lien qui ne mène nulle part : "La page que vous recherchez n'existe pas... Elle s'est perdue sur les ondes".

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    1. Tu es attentive ! C'est corrigé, j'ai remis le bon lien. Bonne écoute !

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  3. j'aime bien ce type de récit de voyage tout à fait particulier

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  4. J'ai rencontré l'auteur sur le salon du livre de Poche à côté de chez moi l'an dernier. Il est très drôle et sympathique. Il ne vit plus aux Etats-Unis mais en Charentes et nous a beaucoup fait rire avec les anecdotes de son installation dans un village français. Mon conjoint a lu ce titre, moi pas encore, et nous avons aussi pris le second, qui relate la même "épopée", trente ans plus tard..

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    1. J'aimerais bien lire le second volume maintenant, faut que je le trouve !
      Un ami a aussi lu un livre de lui qui est plus un roman, sur la relation au père, mais il était moyennement emballé.

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  5. Oui, le second, là ça va, le premier c'est dans une édition peut être raccourcie. Un habitant des Charentes ne saurait être totalement mauvais. ^_^ J'ai trouvé une video, et réalisé qu'il parle un français quasi parfait!

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    1. Il mange du chabichou et porte des charentaises.

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    2. Là c'est peut-être too much quand même. ^_^

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