Abdulrazak Gurnah, Adieu Zanzibar, parution originale 2005, traduit de l’anglais par Sylvette Gleize.
Enfin ! Enfin lu un roman du prix Nobel de littérature 2021 ! Et c’est extrêmement bien.
Au début du livre, un homme surgit du désert et s’écroule dans une petite ville de Zanzibar. Il est recueilli et au fil des pages le lecteur se rend compte que l’on est en 1899, sous protectorat britannique, et que l’homme est anglais. J’ai immédiatement apprécié la diversité des points de vue qui s’entrecroisent rapidement. Cette ville est-elle douce et provinciale, sale et bruyante, pleine de la vie des gens ? Tout cela à la fois sans doute. Et puis l’auteur laisse le lecteur se faire son idée et se plonger dans le récit avant de lui préciser les lieux et les dates.
Il posa sur l’homme un sourire étonné. Que faisait un étranger, blessé dans on ne sait quel endroit perdu, sur la natte de leur cour ? Pourquoi pas un cheval volant, ou une colombe douée de parole ? Ces choses-là n’arrivent pas à des gens comme eux.
Ensuite, un narrateur à la première personne fait irruption et le roman reprend 50 ans plus tard, dans une famille avec trois enfants, dont nous suivons la destinée. Les hommes, les femmes, le conformisme social, les différences de génération, le lien avec la première histoire, les désillusions de l’Indépendance… l’un des personnages passera sa vie en Angleterre, échangeant seulement quelques lettres avec sa famille, alors qu’au pays tout s’est déréglé et tout semble avoir sombré dans le chaos. Pourtant, malgré la tristesse, la fin reste ouverte.
Je ne veux rien savoir de ces mastiqueurs de noix de bétel qui prennent des airs supérieurs, de ces buveurs de lait fermenté, avait dit leur père. Regardez-les, ils ont la bouche cramoisie, toute tordue par leurs vilaines pensées, ils raillent et raillent en permanence. J’étais las de ces gens en Inde, toujours meilleurs que les autres, toujours purs, toujours dans leur bon droit.
Herviault, L'Officier topographe, 1930 Musée du Quai Branly |
J’ai aimé ce livre qui nous plonge dans le Zanzibar du XXe siècle, mais aussi au cœur de personnages attachants. Amoureux, passionnés, ambitieux, soucieux de leurs devoirs vis-à-vis de leur entourage, lâches, irrémédiablement séparés. Ils sont tout cela à la fois et Gurnah dresse ici de beaux portraits. Vivent ensemble des Indiens et leurs descendants, des Arabes, des Omanais, des gens venus de l’intérieur des terres vaguement craints, des occidentaux, des jeunes filles venues de Goa… Les normes sociales de comportement sont racontées parce qu’il s’agit de la vie des gens, de ce qui se décident à leur place sur ce qu’il faut faire et ne pas faire.
Il y a l’ignorance crasse des colons persuadés de devoir tout apprendre à ces gens et l’immense respect de Gurnah pour les habitants de Zanzibar.
Il y avait dans ces rues une odeur étrange et familière, celle du temps qui passe et de la misère : l’égout à ciel ouvert, le flot noirâtre des rejets, les maisons délabrées, imbriquées les unes dans les autres, imprégnées depuis des décennies par l’haleine et la sueur des hommes. Une odeur qui faisait penser à la chair qui guérit, à la boue qui sèche, une odeur qui pouvait virer à la pourriture et à la maladie, bouillonnement d’où s’échappent des gaz délétères.
Nous avons très vite saisi les limites de ce qu’il était possible d’attendre, et curieusement la peur a du coup quelque peu reculé. On reste chez soi ou l’on s’assoit dans son coin préféré de la rue, et on évoque les rumeurs, les derniers cataclysmes. Nous avons moins d’exigences, pour la plupart.
Bien sûr, je vais continuer à le lire.
Un auteur que j'ai lu il y a bien longtemps, sans doute un partie de sa trilogie (?), c'st assez particulier comme écriture, mais pas anodin.
RépondreSupprimerOups je le confonds avec Nurrudin Farah.^_^
J'allais dire : je ne vois aucune trilogie sur sa page Wikipedia. La mémoire nous joue des tours.
Supprimerpour moi aucune confusion je ne l'ai jamais lu hélas Du coup il est immédiatement noté, une de mes filles a fait un voyage à Zanzibar et j'avoue que cela m'avait laissé totalement froide d'autant que les photos de plages et de mer ne m'avaient pas inspiré plus que ça
RépondreSupprimerlà ce roman me titille totalement
Miriam a chronique un autre de ses romans si tu veux te faire une idée, mais en effet, je pense que cela te plaira beaucoup.
SupprimerL'architecture ancienne a l'air très belle aussi.