La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 11 juillet 2023

Se voyant souvent, et se voyant l’un et l’autre ce qu’il y avait de plus parfait à la cour, il était difficile qu’ils ne se plussent infiniment.

 

Marie-Madeleine de La Fayette, La Princesse de Clèves, 1648.

 

Relecture d’un classique de l’âge classique.

Le roman met en scène la cour du roi Henri II, environ un siècle avant sa date d’écriture. Il y a là une flopée d’hommes et de femmes spirituels et gracieux, mais en proie aux intrigues et aux dissimulations. Le portrait un peu enchanteur de cette cour, qui occupe les premières pages et qui est un modèle d’écriture, est rapidement contrebalancé par la description de son envers. Les événements de l’État (guerre, négociation, mariage diplomatique, décès) sont envisagés uniquement comme autant d’occasions de servir ses intérêts.


La magnificence et la galanterie n’ont jamais paru en France avec tant d’éclat que dans les dernières années du règne de Henri le second.


Et donc le prince de Clèves rencontre par hasard sa future femme, dont il devient très amoureux. Celle-ci ne ressent pas la même affection pour lui, mais est heureuse de son sort, jusqu’au jour où elle rencontre le duc de Nemours. Vous connaissez la suite (ou pas).

Que dire de ce roman ? Je suis d’abord frappée par la noirceur de la peinture de la cour et de la haute société. Dans cet ensemble, le prince de Clèves constitue un personnage émouvant, le seul, sans doute, à m’avoir touchée. Les autres semblent bien légers. Grâce à lui, le couple Clèves gagne en épaisseur et en solidité au fil des années et des pages. J’aime bien leurs conversations.


Il lui semblait qu’elle devait y répondre, et ne les pas souffrir. Il lui semblait aussi qu’elle ne devait pas les entendre, ni témoigner qu’elle les prît pour elle. Elle croyait devoir parler, et croyait ne devoir rien dire.

Bourdon, L'Homme aux rubans noirs, 1657 Musée Fabre
mais regardez-moi ce bellâtre !


Le roman est marqué par les débats de la préciosité. Histoires rapportées, cas de conscience, mises en scène du secret découvert, tout cela est trop artificiel pour nous aujourd’hui et contribue à nous éloigner du roman. Toutefois je suis impressionnée par la modernité du texte ou, plus exactement, par son importance pour les écrivains du XIXe siècle. Austen, Stendhal, Balzac, ils ont tous lu La Fayette ! Et surtout Proust. Certaines pages évoquent directement la relation du narrateur avec Albertine et bien sûr la scène d’entrée de Nemours rappelle les acrobaties de Saint Loup dans une grande brasserie parisienne.

 

Comme elle dansait avec monsieur de Guise, il se fit un assez grand bruit vers la porte de la salle, comme de quelqu’un qui entrait, et à qui on faisait place. Madame de Clèves acheva de danser et pendant qu’elle cherchait des yeux quelqu’un qu’elle avait dessein de prendre, le roi lui cria de prendre celui qui arrivait.

(…) Quand ils commencèrent à danser, il s’éleva dans la salle un murmure de louanges. Le roi et les reines se souvinrent qu’ils ne s’étaient jamais vus, et trouvèrent quelque chose de singulier de les voir danser ensemble sans se connaître.

 

Une écrivaine.




 

 

10 commentaires:

  1. Fichtre, je ne résiste pas bien à cette écriture surannée mais tellement classe! Ah oui, Marie Madeleine, voilà son prénom.

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    1. Ça m'agaçait, ce Madame, sans prénom, donc j'ai cherché.

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  2. bonne idée de relecture! première lecture au lycée. Temps de la relire.

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    1. On le lit tôt, mais ce n'est pas mal de s'y remettre plus tard.

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  3. oh je crois que je ne connaissais pas les liens entre Mme de La Fayette et Proust chouette je vais aller relire ça en parallèle c'est amusant

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    1. Écoute, cela m'a frappée à la lecture, tu me diras ce que tu en penses (le côté ratiocination psychologique, aussi).

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  4. Je l'ai lu en 2008 et c'était une première lecture, si! Au lycée quand j'y étais ce n'était sans doute pas au programme dans ma section en tout cas. Flaubert et Stendhal, si.

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    1. J'y avais eu droit pour ma part, en seconde je crois. Je ne sais pas si c'est très adapté.

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  5. Je viens justement de le relire... Oui, en dépit du langage, un roman très moderne.

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    1. Disons que les disputes de couple et les sentiments nous posent sans cesse les mêmes dilemmes.

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