La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 21 septembre 2023

Hélas ! avec tous ses raisonnements, elle découvrit que, pour un cœur fidèle, huit années ne signifient pas grand-chose.

 


Jane Austen, Persuasion, traduit de l’anglais par André Belamich (édité chez 10/18, il aurait peut-être fallu un correcteur), parution posthume en 1818.

 

Au début du roman nous faisons connaissance avec la famille Elliot, qui s’enorgueillit du titre de baronnet et a pleinement conscience de son importance, à l’exception de la cadette, Anne, petite souris invisible. Nous suivons quelques mois de sa vie quand elle revoit son ancien fiancé, un homme doué de toutes les perfections, mais avec qui elle a été incitée à rompre, car il n’était pas de son rang. Sept années ont passé et le jeune homme obscur est devenu un brillant membre de la Navy, promis à la fortune. Les cœurs sont-ils restés constants durant toutes ces années ? Et que faire de toutes ces considérations sociales ? Mais il y a aussi plein d’autres intrigues secondaires qui fournissent matière à réflexion.


Chez les Musgrove, les messieurs avaient leur gibier à protéger et à tuer ; leurs chevaux, leurs chiens et leurs journaux pour les occuper ; et les dames étaient entièrement absorbées par les autres sujets courants : ménage, voisins, toilette, danse et musique. Elle reconnaissait qu’il était très convenable que chaque république sociale dictât ses propres sujets de discussion, et espérait devenir avant peu un membre point indique de celle dans laquelle elle était maintenant transplantée.

 

Le point fort du roman ne repose pas sur le personnage d’Anne, qui est toute intériorité et qui ne semble pas capable de faire entendre sa voix – excepté auprès de la romancière. À la relecture, le ton m’a semblé particulièrement amer, Anne déplorant sans cesse le manque de considération dont elle souffre dans sa famille de sang, en contraste à l’estime qu’elle recueille nettement auprès d’autres relations, sorte de famille de cœur, moins sensible à l’argent et aux hiérarchies sociales. La situation est particulièrement dure pour les femmes, interdites de toute initiative qui leur permettrait d’échapper à ce carcan de la considération. Marcher seule dans les rues de Bath semble tout simplement un impossible défi. En général, les romans d’Austen sont emplis du récit de ces contraintes (l’héroïne voudrait bien… mais doit faire en sorte d’amener Bidule à vouloir que… pour qu’elle-même puisse profiter de…). Anne me semble particulièrement isolée, sans confidente, pouvant finalement s’appuyer seulement sur son expérience de la vie pour trouver une voie en accord avec son caractère.


Des faits ou des opinions qui sont sujets à passer entre tant de mains, à être déformés par la folie de l’un, l’ignorance de l’autre, ne doivent guère recéler de vérité.


Le roman fait la part belle aux marins, aux jeunes hommes qui se sont engagés dans la Navy pour lutter pour la patrie et contre Napoléon et qui ont réussi à tracer leur route et à obtenir de la reconnaissance. Ils ne sont pas nobles, mais ils sont entreprenants, et leur arrivée (la paix reviendra bientôt sur en Europe et les marins seront démobilisés) bouscule les hiérarchies sociales. Les femmes les plus intéressantes sont celles qui accueillent ce nouvel ordre, comme Mme Croft, qui s’embarque avec son Amiral de mari ou Louise qui se découvre passionnée par les histoires de bateaux. Le monde bouge…

Je note les beaux paysages de Lyme.

Hoppner, Harriet Arbuthnot, vers 1805, Madrid Musée Lázaro Galdiano
 

Cette délicieuse émotion fut quelque peu tempérée quand, sortant du groupe pour se faire rejoindre par le capitaine Wentworth, elle vit qu’il était parti. Elle eut juste le temps de le voir entrer dans la salle de concert. Il était parti… il avait disparu : elle en sentit quelques regrets, sur le moment. Mais « ils se rencontreraient de nouveau. Il la chercherait… il la découvrirait, bien avant la fin de la soirée… et, à présent, il valait peut-être aussi bien d’être séparés. Elle avait besoin d’un petit répit pour se ressaisir ».

J’aime bien la façon dont Austen décrit son personnage et retranscrit ses émotions, par ce passage insensible au discours direct, comme si nous avions directement accès aux pensées d’Anne.

 

Oui, oui, s’il vous plaît, pas de références à des exemples tirés de livres. Les hommes, en racontant leur histoire, ont eu sur nous tous les avantages. Ils ont eu une éducation tellement supérieure à la nôtre ; ce sont eux qui ont la plume en main. Je ne reconnais pas aux livres la propriété de prouver quoi que ce soit.

Et pan dans les dents, chers écrivains !

 

C'est une relecture et donc mon premier billetJe me cite, car je devais être en verve ce jour-là : 

"Dans ce monde, une jeune femme peut rester 8 ans enfermée à la campagne sans voir personne et tout d’un coup les jeunes et beaux officiers de marine apparaissent en bande (je veux aller vivre là-bas !). À mon sens, la bonne ambiance du roman est aussi due au grand nombre de personnages. Entre les sœurs, les cousines et les amis, cela forme une petite troupe sympathique et chaleureuse. On s’y sent bien."

 

Ma motivation pour relire Persuasion était que je me rappelais qu’une grande partie de l’histoire se passait à Bath. En réalité, il n’en est guère question, même si je suis à présent capable de mesurer le degré de précision d’Austen : chaque personnage possède une adresse précise dans la ville, dans un quartier conforme à ses aspirations et on peut sans mal les situer aujourd’hui. C’est toujours instructif de voir comment la sociologie d’une ville évolue.

Il sera question des différents quartiers de Bath dans le billet de samedi.



9 commentaires:

keisha a dit…

Vais je craquer et relire Austen ? (c'est là derrière, et en VO). On se calme. Au fait, elle avait bien un frère dans la marine?

nathalie a dit…

Pour moi c'est ma dernière relecture, plus de tentation de mon côté (à part un ou deux billets sur Bath).
Wikipedia dit qu'elle avait deux frères dans la marine, et ils sont devenus amiraux !

Marilyne a dit…

Quand j'ai lu tes billets sur Bath, j'ai pensé à Persuasion ! J'avoue que je ne l'ai pas lu, j'ai regardé l'adaptation ( il y a eu un cycle sur Arte )

nathalie a dit…

Moi aussi j'ai d'abord pensé à Persuasion avant de me rappeler Northanger. Cela fait du bien ces petites relectures.

Anonyme a dit…

Pas relu Persuasion depuis longtemps même si je m'en souviens assez bien. J'attends ton billet sur les quartiers de Bath. J'y suis allée mais je n'ai pas approfondi en fonction des adresses des personnages !

Anonyme a dit…

signé claudialucia

nathalie a dit…

Heureusement j'ai relu le roman juste après ma visite et cela m'a permis de me rendre compte de cette justesse d'observation (je n'en doutais pas, mais c'est quand même impressionnant).

Dominique a dit…

C’est mon roman préféré de J Austen pourtant ce n’est pas le plus connu ou le plus lu mais j’en aime l’atmosphère et les personnages

nathalie a dit…

C'est un roman où la psychologie est fouillée. Anne fait sans cesse le constat amer que ceux qui l'entourent sont décevants et essaie malgré tout de mener son chemin, dans un monde qui lui dénie toute possibilité d'avoir un avis. C'est dur.