La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 7 septembre 2023

Nous persévérâmes dans cette existence âpre et cruelle.

 


Pietro Querini, Cristoforo Fioravante et Nicolò de Michiel, Naufragés, deux textes traduits du vénitien par Claire Judde de Larivière, édité en 2005 par Anacharsis.

 

En 1431, un navire quitte Venise pour rejoindre les Flandres. Des 68 hommes, seuls 11 reviendront, 18 mois plus tard.

C’est qu’une terrible tempête saisit le navire au moment d’entrer dans la Manche et le repousse, d’abord vers l’est, puis vers le nord, le nord, encore le nord. Plusieurs semaines de dérive, puisque le gouvernail, le timon, le mât s’en vont peu à peu. Les hommes décident d’abandonner le navire et se divisent en deux groupes, sur deux navires plus petits. L’un d’eux disparaît en quelques heures. Sur l’autre, ce sont les affres de la faim et de la soif, la nécessité de boire son urine, la dérive, jusqu’à ce qu’enfin une île soit en vue. Sur ce rocher isolé, on boit de la neige et on mange des coquillages, et un gros poisson. Et un jour, des pêcheurs apparaissent. Ils sont sauvés. 

Nos survivants sont arrivés dans les îles Lofoten, au nord de la Norvège. Encore quelques mois et ils pourront rentrer à la maison.


Le froid montait lentement vers notre cœur, et la mort approchait. Ce froid était plus fort que tout et ne faisait qu’empirer notre faim bestiale et enragée. Enfin, lorsque le froid assaillait la partie la plus haute du cœur, on voyait alors la tête de l’un de nos compagnons s’affaisser, comme le petit oiseau trépassant dans sa cage, tombant mort subitement, abandonné par la vie.


Et deux manuscrits racontent cette histoire étonnante, l’un écrit par le capitaine et propriétaire du navire, Pietro Querini, l’autre dicté par les officiers de bord. Les deux n’insistent pas sur les mêmes détails, on s’attarde plus sur les souffrances du corps dans l’un ou sur le nécessaire rapprochement avec Dieu dans l’autre. Et puis Querini décrit le mode de vie totalement exotique et nouveau des pêcheurs des Lofoten. Première description italienne du stockfish, la morue séchée !


Bicci di Lorenzo, Saint Nicolas de Bari apaisant la tempête, tempera sur bois, Florence 1433 

C’est donc de l’histoire. C’est très court, ça se lit très bien. On est au plus près de l’angoisse et de la terreur éprouvée par ces hommes il y a plusieurs siècles, on souffre avec eux et on est soulagé quand ils rentrent. Voilà ce qu’est un réel naufrage.

 

Nos corps étaient purgés, comme vides, et nos viscères ne pouvaient même pas être en désordre ou colorés. Je vous dirai même qu’à peine mettions-nous la neige glacée dans notre bouche que la nature l’envoyait immédiatement à l’autre extrémité. La voie était très large à cause des froidures extrêmes que nous avions supportées, et rien ne pouvait retenir la neige ingurgitée.

 

Un certain Benjamin Guérif a écrit un roman s’inspirant de cette histoire. Il y a aussi un opéra norvégien.



6 commentaires:

  1. tout à fait intéressant, j'aime beaucoup cet éditeur un peu confidentiel mais riche

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    1. J'ai plein de leurs livres ! Ces archives sont bien éditées et leur contenu incroyable.

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  2. Tout ce que j'aime, quoi, des récits historiques étonnants! (j'ai vérifié, en réserve à la bibli!)

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  3. J'ai lu ce texte, (et celui de Guérif ensuite), c'est une sorte d'autobiographie à une époque où le genre était très loin d'avoir été inventé (bon, sauf St Augustin...). Un vrai récit d'aventure.

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    1. Oui, ce sont deux témoignages (le second a peut-être une vocation juridique, c'est une hypothèse). Pas d'autobiographies vraiment mais il existait déjà des récits de voyage. C'est passionnant.

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