La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 31 octobre 2023

J’ai dit que Harrison écrivait des romans sur la vie que j’aurais menée si je n’avais pas quitté le Saguenay.

 

Lise Tremblay, La pêche blanche, 1994.

 

Simon, le narrateur se trouve en Californie, dans un motel, où il passe l’hiver. On est en février, c’est la saison à laquelle il remonte normalement au Canada pour voir son frère Robert et rejoindre ensuite un chantier. Mais cette année, il traîne. Il lit des romans de Jim Harrison sur le quai. Il écrit à son frère.

Nous avons aussi la vie de Robert, professeur de littérature à Chicoutimi, sur le Saguenay. Il aime la vue sur le fleuve, il rêvasse, il attend son frère. Il n’est pas très bien compris de sa femme, de sa mère, et d’autres. Tout le monde n’est pas sensible à la poésie de l’hiver.


J’ai pensé qu’il surveillait encore la rivière, comme nous n’arrêtions pas de le faire lorsque nous étions enfants. Jamais je ne me dis : « Là-bas, c’est l’hiver. » Jamais. C’est autre chose. Comme si l’hiver était un état. On le porte à l’intérieur de soi.


Ce court roman (100 pages) se déploie ainsi en alternance, entre le soleil de là-bas et le froid d’ici, jusqu’au moment où Simon et Robert se rejoignent. Chacun est seul. On ne saura pas forcément grand-chose sur eux. Simon reçoit du courrier d’une femme depuis la Suisse, mais il doit refermer cette histoire. Il a fui le Saguenay, mais y revient sans cesse. De la vie de Robert, on voit surtout ses allers-retours entre le poêle et la belle vue des fenêtres. Éloignés par les kilomètres, les deux frères se comprennent mieux que la famille restée sur place.


Il lui sembla que, depuis des années, il ne faisait que cela. Attendre.


Contrairement à d’autres textes de Tremblay, les femmes sont ici à l’arrière-plan. La femme de Robert semble vivre à côté de lui, incapable de le comprendre, recluse dans la vie de la télévision et les ragots familiaux. Il y a la mère, dont on comprend à demi-mot à quel point son mari l’a étouffée et combien elle attend sa libération. Mais sans détail aucun. Ce sont des choses dont on ne parle pas.


Ses beaux-frères avaient toujours agi avec lui comme si la vie, la vraie vie qu’ils vivaient, eux, ne le concernaient pas. Probablement parce qu’il n’avait pas leur odeur. Un relent d’huile que les hommes conservaient en permanence et qui faisait d’eux des hommes. Un relent d’huile qui les exemptait de parler aux femmes, qui les faisait se reconnaître entre eux.

Savage, La Maison rouge Dorval 1928 MNBAQ


La nature s’incarne ici dans l’hiver. La neige, la glace, le vent, le froid qui tue, la vue sur le fleuve magnifique, les cabanes de pêche. Simon et Robert, mais aussi les femmes, se tiennent loin des chasseurs et de leurs tueries exhibitionnistes.

Simon lit Jim Harrison, ces romans d’hommes paumés entre un monde rural et étroit et des aspirations plus vastes, et l’alcool, et de grandes explorations des bois et des paysages. Je pense qu’il lit notamment Nord Michigan où il est question d’une infirmité physique qui empêche le héros de devenir agriculteur et de faire pleinement partie du monde viril collectif.

J’ai l’impression d’avoir des mots lourds et maladroits alors que Tremblay dit sans dire, avec subtilité, laissant imaginer les mots qui ne sont pas dits ou les pensées qui sont tues. C’est le drame de la condition humaine ordinaire.

 

Ce serait une journée claire, froide, sans vent, avec une lumière éblouissante. Le soleil était rose à l’horizon. Robert pensa à la lumière qu’il y aurait toute la journée, une lumière qu’on ne pouvait pas soutenir du regard, une lumière fabuleuse. Une lumière qu’on devrait contempler tout le jour sans rien faire. En longeant le bord du Saguenay, il la verrait arriver du nord, éclatante, sans merci.

 

Lire au Québec.

Une écrivaine.


Lise Tremblay sur le blog :

 

Sur ce roman, le billet de Yueyin et celui de Karine.




 

5 commentaires:

keisha a dit…

Aie, depuis le temps que je ne lis plus de romans canadiens...

nathalie a dit…

La Héronnière est édité par Actes Sud et tu pourrais le trouver. Plus compliqué pour les autres.

Sylvie a dit…

Je peux te les envoyer si tu cherches

Sylvie a dit…

Magnifique billet qui donne tellement envie de le lire. merci.

Nathalie a dit…

J’ai lu trois titres d’elle et j’aime vraiment ce qu’elle fait, c’est très fort.