La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 26 octobre 2023

Songes-tu que ce meurtre, c’est tout ce qui me reste de ma vertu ?

 


Alfred de Musset, Lorenzaccio, 1834.

 

C’est une pièce de théâtre.

Nous sommes à Florence, en 1537, 20 ans avant que ne meurt le grand Pontormo. La ville est gouvernée en tyran par Alexandre de Médicis. Débauche et corruption, sous la protection des soldats allemands de Charles Quint. Le duc est accompagné et servi par le fidèle Lorenzo, son cousin, un être faible, jadis tourné vers les lettres. Bientôt il sera question de tuer Alexandre.


Il est encore beau quelquefois dans sa mélancolie étrange.


Il y a le drame d’une ville. Les soi-disant républicains sont les grandes familles, avant tout attachées à leurs prérogatives et privilèges. Certains sont sincères, mais la plupart se contentent de phrases ou n’ont de goût que pour la violence physique. D’ailleurs ils ne craignent rien tant que le peuple. Les simples habitants se débrouillent comme ils peuvent, se battent contre les soldats et font des affaires.

Je dois dire que la place laissée aux notions archaïques d’honneur masculin et de virginité féminine, comme si l’alpha et l’oméga de la politique se limitait à l’accès au sexe des femmes, peut rebuter – pourtant la marquise et Catherine sont plus courageuses que beaucoup.

Lorenzaccio, Lorenzo, est un homme seul. Désabusé, il a puissamment conscience de l’inutilité politique de son acte, qu’il commet pourtant au nom d’on ne sait quel principe. Ses relations avec Alexandre sont pleines d’ambiguïtés. Cousin, ami, complice, amant peut-être, presque jumeau. Il s’est fait une promesse à lui-même et la tiendra, quel qu’en soit le coût, en dépit de son vide. Personnage shakespearien – comment ne pas penser à Hamlet jurant promesse à un fantôme ? – si à la mode parmi les romantiques.


Regardez-moi ce petit corps maigre, ce lendemain d’orgie ambulant. Regardez-moi ces yeux plombés, ces mains fluettes et maladives, à peine assez fermes pour soutenir un éventail, ce visage morne, qui sourit quelquefois, mais qui n’a pas la force de rire.


Brescia, Portrait d'un jeune homme, 1540-45, Londres NG



Il y a un horrible cardinal.

Avec ça, les fameux peintres florentins sont bien assaisonnés avec ce personnage de petit artiste dépourvu de toute conscience.

Un sort est fait également aux grands épisodes vertueux et sanglants de l’histoire romaine (Brutus, le grand, ou le petit, Tarquin, etc.) tels que la Révolution a pu s’en délecter. Désormais, la peinture de l’histoire sera plus sombre et tortueuse et le héros se tiendra seul devant son devoir, devenu inutile.

Il y a une peinture sombre de la ville, d’où les habitants sont bannis et exilés, où les soldats impériaux règnent en maître, où l’on tue.

 

Je ne voulais pas soulever les masses, ni conquérir la gloire bavarde d’un paralytique comme Cicéron. Je voulais arriver à l’homme, me prendre corps à corps avec la tyrannie vivante, la tuer, porter mon épée sanglante sur la tribune, et laisser la fumée du sang d’Alexandre monter au nez des harangueurs, pour réchauffer leur cervelle ampoulée.

 

Lecture commune avec Maryline.

Lorenzaccio, c’est 20 ans avant Perspective(s). Si vous voulez remonter encore 10 ans avant, en 1527, au sac de Rome, c’est possible avec le livre d'André Chastel (pas chroniqué sur le blog, mais c'est un classique).



 

13 commentaires:

keisha a dit…

Etudié au lycée (donc il y a fort fort longtemps) je n'aurais pas pu donner une époque (oui, Musset, mais l'histoire elle-même?). C'est chic de relier tes lectures grâce aux personnages.

nathalie a dit…

Oui on a une notion un peu floue de "la renaissance à Florence" alors que ce n'est déjà plus tout à fait ça. J'avoue, la parution du roman de Binet constitue une bonne occasion !

Dominique a dit…

je garde un bon souvenir de la pièce mais je ne l'ai vu qu'une seule fois et c'est très lointain
je ne parviens pas à lire du théâtre la masse de dialogue rend ma lecture pénible et je n'y prend aucun plaisir
il faudrait que j'essaye en audio

Ingannmic, a dit…

Un très grand souvenir de lecture, pourtant scolaire.. cela fait des lustres que je me dis qu'il faut que je le relise !

je lis je blogue a dit…

Effectivement, j'aime bien l'idée de lier cette pièces avec les romans récents de Binet et de Maggie O'Farrel (Le portrait d'un mariage) ou encore un autre classique comme Le sac de Rome.

Marilyne a dit…

Belle citation d'ouverture. Ma relecture a été fructueuse, le souvenir était trop diffus. Je ne connais pas cette référence, le livre d'André Chastel, je vais regarder.

Anonyme a dit…

Miriam : bien sûr à la suite de Binet! Moi j'en suis encore au milieu

nathalie a dit…

Ah oui en audio, c'est une bonne idée ! Je l'ai vue aussi au théâtre il y a pas mal d'années, c'était tellement bien.

nathalie a dit…

Tu as eu le drame romantique au bac, toi. Je l'ai lu à peu près cette époque, mais je l'avais relu depuis heureusement !

nathalie a dit…

Le Sac de Rome, n'est pas un roman et je ne pense pas que Chastel parle de la pièce. Mais c'est vrai que c'est l'arrivée des soldats allemands et de l'empire espagnol dans l'Italie, le sentiment du début de la fin.

nathalie a dit…

C'est de l'histoire de l'art pure et dure ! Très riche.

nathalie a dit…

Tu verras que le lien est évident entre les deux.

je lis je blogue a dit…

Merci pour les précisions. Je comprends mieux.