La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 28 novembre 2023

Vos actions vont peut-être laisser de profondes traces dehors dans la neige de la cour mais pas davantage.

 


Franz Kafka, Le Château, traduit de l’allemand par Georges-Arthur Goldschmidt, rédigé en 1922, laissé inachevé, publication posthume en 1926.

 

K., arpenteur, arrive un soir au village. Mais il apprend très vite que si le château a bien fait appel à un arpenteur, on n’a absolument pas besoin de lui, mais qu’il peut quand même rester. Il passera le reste du livre non pas tant à essayer d’éclaircir sa situation auprès de ces messieurs du château qu’à essayer de prouver aux villageois qu’il est capable d’obtenir une certitude de la part de l’administration.

Car c’est un monde absurde. Si le château est inaccessible et si d’ailleurs le château s’avère être un ensemble de bureaux, les fonctionnaires apparaissent une fois, par hasard, la nuit, sans qu’il soit possible de remettre la main dessus, remplacés par des secrétaires, des sous-secrétaires ou des aides. Invisibles, inexistants, ils exercent une fascination illimitée sur les villageois qui leur attribuent volontairement une autorité sans bornes, alors même que l’absence de police ou d’autorité permettrait à chacun de vaquer à ses occupations.


Lorsque ce regard tomba sur K. il lui sembla que ce regard avait déjà réglé des affaires qui le concernaient dont il ne savait pas même encore qu’elles existaient mais dont il lui révélait l’existence.


Dans ce cadre, K. ne comprend rien, interprète, manipule, prétend tout comprendre, fait du surplace, ce qui n’est pas si pire que les autres qui affirment, eux, savoir comment procéder. K. est libre de partir, mais il préfère s’obstiner à se débattre en vain.


Il n’existe que des administrations de contrôle. Certes, elles ne sont pas destinées à repérer les erreurs au sens grossier de ce mot, car des erreurs, il ne s’en produit pas et même si une erreur devait se produire, comme dans votre cas, qui est en droit de dire, une fois pour toutes, que c’est une erreur ?


Et les femmes ? Elles occupent une place particulière. Les fonctionnaires du château, qui sont tous des hommes, se les attribuent et elles passent d’un homme un autre sans aucune expression de jugement moral. D’ailleurs les personnages ne possèdent pas d’intériorité psychologique ou affective, sinon dans le regard de celui qui propose une interprétation de leur comportement, dont on ne sait ce qu’elle vaut, chacun mentant et manipulant à loisir. Pourtant ce sont les femmes qui prennent les initiatives et semblent seules capables de faire évoluer leur situation, choisissant K. ou le repoussant selon leur pari sur l’avenir. Il est un étranger qui refuse de se plier aux coutumes locales et s’il ne parvient pas à faire avancer sa propre situation, il est celui par qui des événements imprévisibles et inédits peuvent enfin advenir.

Un château en Provence.


Ce n’est pas forcément un roman agréable à lire, car cet univers est bouché et les personnages s’enferment dans des explications interminables qui ne font rien avancer du tout. Il y a de la neige et il fait froid et on préférerait prendre la route. Mais la création de cet univers est fascinante.

 

Il se peut que le prétendu Klamm n’ait rigoureusement rien de commun avec le véritable ; la similitude n’existe peut-être que pour les yeux de Barnabas, aveugle d’énervement ; il se peut que ce soit le plus subalterne des fonctionnaires, peut-être n’est-il pas même fonctionnaire, mais il a une fonction à son pupitre, il lit bien quelque chose dans son grand livre, il marmonne bien quelque chose au secrétaire, il pense bien quelque chose, quand son regard tombe sur Barnabas et même si tout cela n’est pas vrai et que lui-même et ce qu’il fait ne représente rien du tout, quelqu’un tout de même l’y a mis et l’a bien fait avec une intention quelconque.

(On croirait une réflexion à la Descartes : on est sûr de rien, mais quand même, il y a quelque chose, qui est incertain et qui est peut-être faux, donc j’existe.)


Cinquième et avant-dernière participation aux Feuilles allemandes de Livr'escapades et de Et si on bouquinait un peu.





 

11 commentaires:

eimelle a dit…

je n'ai pas du tout participé à ce challenge cette anne, mais je note beaucoup d'idées!

keisha a dit…

Ah oui, Kafka. Ma lecture de La métamorphose (genre, ne pas mourir idiot) m'a laissée perplexe. Peut-être faut-il le bon moment, la bonne humeur?

nathalie a dit…

Oui c'est très tentateur !

nathalie a dit…

J'ai bien aimé un recueil de nouvelles, je le relirai volontiers (peut-être pour la prochaine édition ?).

Dominique a dit…

On parle beaucoup de l'humour de Kafka j'avoue que parfois je peine un peu à le trouver et dans cette nouvelle particulièrement, ou alors c'est moi qui prends trop au pied de la lettre les écrits de l'auteur

nathalie a dit…

Je pense qu'il faut piocher dans ses nouvelles plus courtes, ou dans sa correspondance, car c'est un auteur qui fait preuve d'observation et d'ironie. Dans le château, il y a surtout beaucoup d'absurde.

miriam panigel a dit…

Lu il y a si longtemps que je n'ai qu'une idée très vague. A relire donc! Ecouté sur les podcasts de RadioFrance une série sur Kafka et les femmes de sa vie. Passionnante

nathalie a dit…

Ouiiii d'ailleurs c'est cette série de podcasts qui m'a donnée envie de relire ses romans.

Anonyme a dit…

Je n'ai pas lu celui-ci mais on retrouve bien l'atmosphère si particulière de Kafka, l'étrangeté, le manque de sens, l'absurde. Absurdité de l'administration, de la Justice, bien sûr, mais de notre vie, du Monde en général, un Monde où les femmes n'ont pas droit à l'existence.

claudialucia a dit…

commentaire précédent signé :

nathalie a dit…

Elles sont les seuls personnages à pouvoir évoluer alors que les hommes sont figés, alors je ne suis pas certaine que l'on puisse écrire qu'elles n'ont pas droit à l'existence.