W. G. Sebald, Campo Santo, recueil de textes paru originellement en 2003, traduit de l’allemand par Patrick Charbonneau et Sibylle Muller, édité en France par Actes Sud.
Quand j’ai trouvé ce volume chez une amie, j’ai été très intriguée dans la mesure où il s’agit de textes de Sebald sur la Corse. S’il y a bien un auteur que je n’associe pas au soleil éclatant de la Corse, c’est bien lui… donc j’ai embarqué le volume (j’ai de bons amis).
Première partie, quatre textes sur la Corse. Sebald visite Ajaccio, son superbe musée Fesch et son musée Napoléon. Il réfléchit également sur la violence et sur les rites funéraires.
J’aime le ton, non pas ironique, mais détaché avec lequel Sebald parle de Napoléon, homme qui a bouleversé le monde, mais infime au regard du temps, et le soin avec lequel il interroge cette figure à jamais fermée et mutique. J’aime aussi sa capacité à se démarquer très nettement des scènes de chasse dans le maquis, tout en n’exprimant aucun jugement de supériorité morale à l’égard de ses interlocuteurs. Est-ce la dignité ? Cette façon de se tenir droit sans rabaisser les autres ? Le récit de la visite du cimetière de Piana est une réussite. En arrière-plan, la lecture des nouvelles de Flaubert se glisse dans ses réflexions sur la chasse.
On peut voir en outre de nombreuses figurines de l’Empereur sculptées dans la stéatite et l’ivoire, qui le représentent dans ses attitudes célèbres, dont les plus grandes font dix centimètres, et qui deviennent de plus en plus minuscules, jusqu’à ce que pour finir on ne voie plus qu’une petite tache blanche indistincte, peut-être le point de fuite évanescent de l’histoire de l’humanité.
J’ouvris grandes les fenêtres et je regardai par-dessus les toits de la ville. On entendait encore la circulation dans les rues, mais tout à coup le silence se fit, juste pendant quelques secondes, sur quoi, apparemment à quelques rues de là, l’une de ces bombes qui sautes assez fréquemment en Corse explosa avec un bruit bref et sec. Je me couchai et ne tardai pas à m’endormir, avec dans l’oreille le bruit des sirènes et des voitures de police.
Point perso : à Ajaccio, j’ai surtout aimé la nourriture. Les beignets à la brousse et les beignets à la châtaigne. J’ai snobé le musée Napoléon, suis allée au musée Fesch et surtout j’ai pris le train pour Corte, qui m’a beaucoup plu.
Seconde partie : l’éditeur allemand s’est dit qu’un volume de 50 pages était trop court et il a ajouté plusieurs petits essais sans aucun rapport avec la Corse (sauf un). Ces textes portent en majorité sur la littérature allemande, que je ne connais pas, j’ai donc picoré et j’en ai lu seulement quatre et demi.
Lefèvre, Après-midi église Saint-Pierre de Caen, 1947 coll. privée |
« Au bordel via la Suisse. À propos des Journaux de voyage de Kafka ». Le titre de l’article me paraît merveilleux. Tout la langue et la pensée de Sebald sont là, entre simplicité et trajets surréaliste d’un objet à un autre. Le texte commence ainsi :
Une amie hollandaise me racontait récemment qu’elle avait voyagé l’hiver dernier de Prague à Nuremberg. Pendant ce trajet, elle avait lu des passages des Journaux de Kafka, tout en suivant parfois longuement du regard les flocons de neige qui passaient devant la vitre du wagon-restaurant suranné dont les draperies des rideaux et la lumière rougeâtre diffusée par la petite lampe de table lui rappelaient les fenêtres d’un petit bordel de Bohême.
Il est un peu question de Kafka au bordel, mais aussi de la musique de Mahler et d’un sanatorium en Suisse.
« Kafka au cinéma » accueille un mélange de réflexions sur la photographie et le cinéma, sur la littérature de Kafka et les fantômes, sur les images fugitives.
Ce qui est si émouvant dans les images photographiques, c’est qu’elles ont parfois comme un souffle singulier qui semble venir vers nous de l’au-delà.
Je n’ai pas lu « Le secret du pelage roux. Approche de Bruce Chatwin », excepté les deux dernières pages qui portent sur La Peau de chagrin de Balzac, où Sebald montre comment le magasin de l’Antiquaire met en regard les milliards d’années de la géologie et la faible mémoire humaine.
« Moments musicaux » débute par l’écoute d’un vieux radiocassette dans un bar en Corse, où Sebald s’est réfugié pendant une pluie diluvienne (et qu’une dame passe dans la rue suivie d’un jeune cochon), puis nous passons à l’enfance de l’auteur et à la musique bavaroise, à un instituteur qui joue Mozart et Bellini à la clarinette, à des cours de cithare, puis à un organiste fou, à des opéras entendus à Londres ou en Allemagne (et à Klaus Kinski) et enfin à Verdi, va pensiero. Ce texte est merveilleux et il a un charme fou. Si vous êtes simplement sensible à la musique, il vous ravira. Je suis pour ma part ensorcelée par ce lent et imprévisible parcours des souvenirs et des lectures, d’une note à une autre.
Le mystère le plus intime de la musique est un geste de défense contre la paranoïa, nous faisons de la musique pour ne pas être submergés par les horreurs de la réalité.
« Une tentative de restitution » : avec un jeu des sept familles illustré par les villes allemandes, telles qu’elles existaient avant la guerre, alors même qu’elles ont été massivement détruites par les bombardements. Où l’auteur réfléchit : « à quoi bon la littérature » ? Parce que la littérature, et sans doute la lecture, permet fugacement de rendre justice aux morts.
Pourquoi est-ce que je n’arrive pas à me sortir de l’esprit ce genre d’épisodes ? Comment se fait-il donc que chaque fois que je prends la S-Bahn en direction de Stuttgart-Centre, je pense, parvenu à la station Feuersee, que l’incendie est toujours au-dessus de nos têtes et que depuis la terreur des dernières années de la guerre nous vivons une sorte de vie souterraine, en dépit du fait que tout, autour de nous, soit si merveilleusement reconstruit ?
Il y a de nombreuses formes d’écriture ; mais c’est seulement dans la littérature que l’on a affaire, au-delà de l’enregistrement des faits et au-delà de la science, à une tentative de restitution.
Une langue envoûtante, sans trêve et sans hâte. Je suis enthousiaste.
Stefanie vor Schulte, Garçon au coq noir
Herta Müller, L’Homme est un grand faisan sur terre
Edgar Hilsenrath, Nuit
Alfred Döblin, Berlin Alexanderplatz
Franz Kafka, Le Château
Merci à ces deux blogs pour l'organisation, la stimulation, les propositions et les idées. Il me reste encore beaucoup à lire !
Pour avoir lu Les émigrants, j sais que cet auteur me plait (voir plus que ça!) Alors... à noter!
RépondreSupprimerC'est un auteur extraordinaire ! Bien représenté ici.
Supprimerje savais bien que j'avais oublié cette année Sebald, je note Campo Santo pour une prochaine fois
RépondreSupprimerPour partir un peu au soleil de Corse.
Supprimerun auteur que j'aime beaucoup et que je lis depuis son premier livre mais là j'ai été un peu dérouté par ce mélange qui est plus fait pour contenter l'éditeur que le lecteur dommage ce qui n'empêche pas d'être intéressée par la lecture mais le livre lui même est vraiment mal ficelé
RépondreSupprimerOui clairement ! Je n'ai pas tout lu, j'ai picoré et essayé de sélectionner les textes qui m'intéressaient le plus (celui sur la musique te plairait certainement).
Supprimer