La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 25 janvier 2024

Demain, ceux qui vivront trouveront naturel d’être au large, au soleil, sur la mer Liberté.

 


Xavier Donzelli, Et par le pouvoir d’un mot, paru aux éditions Seghers, 2023.

 

Ce roman historique raconte l’histoire d’un poème : Sur mes cahiers d’écolier, Sur mon pupitre et les arbres, Sur le sable sur la neige, J’écris ton nom… Vous connaissez la suite.

Tout commence à Vézelay en février 1942. Éluard et Nusch passent l’hiver là et lui compose, compose, poème d’amour, poème de guerre d’un homme jamais résigné. Ensuite, c’est le récit des comités de rédaction des revues, clandestines en zone occupée, slalomant avec la censure à Alger, des textes qui circulent de main en main, des arrestations, des peurs, des tracts lancés par les avions anglais, etc.

Un très bon roman sur un texte que l’on connaît tous, mais dont les détails méritent grandement d’être rappelés.


À chaque fin de vers, depuis les marges blanches, une image prend son envol, se déploie et rayonne dans son esprit, puis éclate comme une averse clarté. La simplicité du vocabulaire le frappe. Mal-Pol se demande d’où viennent cette lumière et cette harmonie qu’éclairent les meilleurs vers et les plus beaux sonnets.


Évidemment, certains trouveront qu’il y a trop de noms propres : noms de poètes, d’éditorialistes, de journalistes, de revues, de libraires, d’éditeurs… on s’y perd, on comprend mal qui est qui, mais pour moi, l’essentiel est de parvenir à camper une époque, une atmosphère. C’est la seconde époque surréaliste, poètes minuscules s’écharpant entre Aragon et Breton, ce sont de très jeunes gens qui fuient le STO et frôlent avec enthousiasme les limites de ce qui est autorisé, jeunes gens au milieu desquels Éluard est un vieux, lui qui a vu la Première guerre mondiale. Pourtant, il est reconnu par tous pour son rapport différent aux mots. Je trouve que Donzelli raconte très bien ces réunions de préparation de revue, entre tempéraments différents, avec tous les jeux de mots détournés pour se moquer du pouvoir officiel, comme autant de provocations et de défouloirs.

On y apprend que Francis Poulenc a mis en musique le poème d’Éluard (vous pouvez l’écouter ici), que Lurçat en a fait une tapisserie (pour la voir c’est ici), qu’il a été publié presque concomitamment par plusieurs revues françaises à Paris, Londres et Alger, qu’il a été plusieurs fois traduits en anglais, dont une fois par Lee Miller, et qu’il a été parachuté en France par les avions anglais comme autant de tracts pour maintenir l’espoir et l’esprit de révolte.

Des noms très connus apparaissent, à l’arrière-plan comme Picasso, Dora Maar, Rose Vaillant, Aragon, etc., ou vivant devant nos yeux comme Cartier-Bresson, Vercors et Lee Miller, dont la blondeur illumine le livre.

Paul Éluard photographié par Dora Maar en 1934,
conservée au centre Pompidou, image de la base RMN.



Un roman qui donne envie de (re)lire les poèmes d’Éluard, d’Aragon, de Desnos, de Char, etc. Et Madeleine Riffaud (la citation qui ouvre ce billet est d’elle). De revoir les photos de Miller et les tapisseries de Lurçat. Un roman porté par une certaine énergie de vivre, malgré les temps obscurs.

Il y a l’évocation des terrains d’aviation anglais, avec ce jeu de cartes aux couleurs des avions.

 

Ce soir, Paul contemple le chantier du poème en cours, les flèches, les biffures sans appel, les arabesques des repentirs. À force d’ajouts, son manuscrit est illisible, ou presque. Levant les yeux, il distingue dans la nuit l’éclat d’étoiles de première magnitude. Cette joaillerie céleste fait surgir de nouveaux vers : Sur les pentes monotones, Sur les dentelles de pluie, Sur les bijoux des captives. Il opère encore quelques retouches, ordonne les strophes, les déplace, instaure un nouveau sens à cette succession d’images et de strophes qui se terminent toutes par cette scansion : J’écris ton nom.

 


Addendum : Marilyn me fait remarquer dans les commentaires que l’écriture n’est pas géniale. Et c’est vrai. Mais je suis entrée dans l’histoire et je suis passée outre les défauts. Comme quoi…




6 commentaires:

  1. on a tous appris ce poème à l'école et c'est encore le cas aujourd'hui pour les jeunes élèves. Cet ouvrage autour de « Liberté » de Paul Eluard semble vraiment captivant. Je ne savais pas que Lurçat en a fait une tapisserie.

    RépondreSupprimer
  2. @JelisJeBlogue : Pas exempt de défauts, mais globalement très intéressant oui. La musique de Poulenc est aussi très belle !

    RépondreSupprimer
  3. @Miriam : cela devrait t'intéresser.

    RépondreSupprimer
  4. Je l'ai lu à parution, très motivée et curieuse. Contrairement à toi, je ne l'ai pas apprécié. Grande déception ( pas de chronique ). Intéressant de rappeler l'histoire de ce poème de façon élargie mais quel manque de style. Ces dialogues m'ont totalement détachés du récit.

    RépondreSupprimer
  5. @Marilyne : écoute je vois très bien ce que tu veux dire, mais ça ne m'a pas du tout gênée. Je suis entrée dans l'histoire, malgré ce style et l'abondance de noms propres, ce qui a prévalu sur les défauts. C'est dommage que tu n'aies pas pu en faire autant.

    RépondreSupprimer

N’hésitez pas à me raconter vos galères de commentaire (enfin, si vous réussissez à les poster !).