Thor Vilhjálmasson, La Mousse grise brûle, parution originale 1986, traduit de l’islandais par Régis Boyer, édité en France par Actes Sud.
Au début, le lecteur est un peu perdu. Des hommes marchent dans la lande. Un homme tue sa femme enceinte en la noyant. Un homme rencontre une femme en ville. Ensuite, c’est à nouveau un long trajet dans les terres islandaises, montagnes, roche volcanique, mousse, ruisseau. Et les chapitres s’ordonnent peu à peu. Le bailli ou le juge a été appelé par un pasteur pour se prononcer au sujet d’un couple de frère et sœur, et il se remémore les circonstances d’un crime plus ancien, jugé par son père. On est à la fin du XIXe siècle.
Le roman nous plonge dans l’Islande rurale et misérable placée sous l’autorité du Danemark. La vie y est dure. Je frémis devant ces récits de garçons de 10 ans gardant les moutons, placé de ferme en ferme, sans attache solide, de cette adolescente violée par son patron à 13 ans, du froid, du portrait du roi accroché dans un bureau.
Qui sait s’il n’y avait pas l’héritage national lui-même, dans l’herbe rase ? Tu entends des voix porter le message mystérieux des êtres surnaturels depuis les ruisseaux qui creusent constamment leur lit, au-delà des générations, le discours mystérieux partout où coule l’eau en ce pays. Le murmure de l’eau. Les voix de tous les temps dans le murmure de l’eau, qui font de l’être humain une seule et même personne ; bien que les générations se déversent dans la mer. De l’autre côté de laquelle il n’y a pas de pays.
Il nous plonge aussi dans les paysages somptueux, mais sublimes, qui dépassent les pauvres êtres humains, hantés par les souvenirs de ceux qui ont vécu là divers drames, par le diable, par les peurs intimes de chacun. Ces êtres évanescents traversent les nuages, la brume, la glace, la lune.
Ruisseaux et ruisselets mêlaient leur chant à celui des sabots et de la pierre, prodiguant les variations ambiguës pour que la mélodie ne fût pas trop monotone, le ton se modifiait quand ils passaient sur de la pierre baignée d’eau, ou de la mousse sur les berges parfois, ou quelque autre végétation primitive.
Nick Sikkuark, Sedna déesse de la mer, 1999, MNBAQ |
Il y a aussi les émotions du juge, venu de la ville, symbole d’autorité et de savoir, pas si plein de certitudes que les autres le pensent, mais intimidant, devant rendre un verdict, perturbé par ceux qu’il interroge. Il y a le pasteur et sa femme, qui auraient pu aisément dissimuler le crime, qui ne l’ont pas fait, par bonté ou par négligence, et qui permettent au drame d’advenir.
Enfin, je suis frappée par le fait que tous les personnages sont bien jeunes, 25 ans peut-être. Certains sont peut-être prêts à réfléchir au progrès et à construire l’avenir de l’Islande, mais d’autres resteront dans leur sombre vie.
Il y a des visions, des rêves, des cauchemars. Un cheval qui court – qui rêve ? On ne sait pas.
Je retiens la scène du pasteur seul devant le crucifix de l’église et le sentiment de sa faiblesse.
D’où que cela pût vous assaillir. D’un esprit conscient de sa faute, une faute que toi seul connais, ou bien d’histoires populaires, ces âmes proscrites et errantes qui se vengent de quiconque passe à portée. Toute cette masse de trépassés que ce peuple traîne avec lui, génération après génération, pendant des siècles. Ceux qui ont péri dans de pareils déserts de sable, des esprits qui furent étouffés ou mutilés, dans la détresse et l’inhumanité.
Sur cette même période d'occupation de l'Islande par le Danemark, j'ai lu "Le roi et l'horloger" d'Indridason (ce n'est pas un polar), sans doute plus facile d'accès, en tout cas passionnant.
RépondreSupprimer@Sandrine : j'aimerais bien le lire, car je l'ai repéré. Je pensais qu'on me le prêterait pour tout dire, j'attends de le voir passer. Plus facile à lire et beaucoup plus urbain aussi.
RépondreSupprimerJe noterais plutôt celui dont parle Sandrine?
RépondreSupprimer@Keisha : le roman d'Indridason doit être bien, d'ailleurs Dominique en a parlé aussi, comme Sandrine. #LabelQualité
RépondreSupprimerje suis certaine de l'avoir lu mais mon souvenir est bien amoindri
RépondreSupprimeril faut que je cherche un peu dans ma mémoire
Le sujet m'intéresse mais j'avais déjà repéré "Le roi et l'horloger" sur le même thème. Je ne suis pas sûre de lire les deux... ni même un des temps car je suis un peu débordée par ma PAL et mes listes à lire.
RépondreSupprimerje repartirais bien pour l'Islande...mais pas en ce moment le volcan en éruption est bien près de l'aéroport!
RépondreSupprimerJe passe du coq à l'âne. Nous venons de louer un gîte du 10 au 17 février à Marseille XIIIème. Des suggestions de visites?
@Dominique : il me semble en effet que c'est le genre de titre qui est susceptible de t'attirer.
RépondreSupprimer@JeLisJeBlogue : Débordée par les livres ? Oh bah je ne vois pas du tout de quoi tu parles !
@Miriam : En plus du Mucem évidemment, je vous conseille Borély, il y a une très bonne expo et le lieu est très agréable ! Vous serez en dehors de la ville, vous pourrez aller vers l'étang de Berre, en petite Camargue, voir les flamands roses, et rayonner facilement.
Après Marseille est une ville qui se découvre en visitant les quartiers : Bonne mère, Panier, Plaine...
Je pense être là, fais-moi signe au cas où.
@miriam J’oubliais les îles du Frioul!!!
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