La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 11 janvier 2024

Je connaissais les chevaux comme je connaissais ma famille.

 


 

Mark Spragg, Là où les rivières se séparent, parution originale 1999, traduit de l’américain par Laurent Bury, édité en France par Gallmeister.

 

C’est un récit autobiographique, mais fragmenté, qui met l’accent sur une enfance dans le Wyoming, dans un ranch. Spragg raconte, en sélectionnant des épisodes, cette enfance et cette adolescence au milieu des cheveux. Les derniers chapitres concernent sa vie d’adulte, quand il est encore dans le Wyoming, mais en ville (enfin, une ville du Wyoming quoi).


Mais Boots me permettait d’aller travailler avec les hommes pour les randonnées et les excursions. Et c’était un cheval, ce qui le plaçait bien au-dessus des chiens, des chats et de la plupart des gens que je connaissais. Sa démarche était si brusque que seul un jeune garçon pouvait le monter au galop sans être brisé. Il aurait envoyé un adulte chez le kinésithérapeute.


Un récit qui nous emmène ailleurs, dans un monde étranger et exotique, rythmé par la vie des chevaux, lâchés librement en hiver, ramenés au corral en été, avec les promenades pour les touristes et l’organisation de chasses pour les riches urbains. L’enfant, puis l’adolescent, est pleinement immergé dans cette vie, mais prend ensuite ses distances ou s’interroge. Pourquoi tant d’armes à feu ? Et l’alcool, les cigarettes ? Et pourquoi chasser un ours ?

Le livre ne fait pas preuve d’un lyrisme excessif, mais parvient pourtant à nous faire partager des moments de communion avec les chevaux, comme une autre vie possible. Il nous raconte aussi un monde assez étranger, loin de la télé et de la radio, des hôpitaux et de la mer.

Par ailleurs, le ton est d’une grande retenue et l’auteur ne s’attarde pas sur les événements biographiques, ne parlant pas du divorce de ses parents, de ses propres fêlures ou de celles de son frère. Pourtant, il trace le portrait vigoureux des hommes qu’il a côtoyés durant son enfance, dans une vie difficile, exposée au froid, aux chutes de cheval, aux blessures d’outil. Ce monde d’hommes en bottes à talon.


Ce qui était inhabituel, pour moi, en tout cas, c’était le béton : les trottoirs, les parkings, les routes, les places. Mes jambes ont grandi en faisant du tout-terrain. Elles sont habituées à la terre, sèche ou détrempée, au rembourrage des prairies herbeuses, au tapis des aiguilles de pin. Quatre années d’études sur le béton m’ont presque estropié.


Rosa Bonheur et Nathalie Micas, Marché aux chevaux, 1855 Londres (détail)

Il y a l’évocation pleine de pudeur d’une sœur décédée toute petite, la description tellement précise du ferrage des chevaux, la vie d’un chat qui aime bien monter à cheval dans le dos du cavalier et du cheval qui attend le chat, un troupeau de chevaux sauvages qui piétinent un coyote, le récit d’une vente aux enchères avec du bétail et des chevaux, la solitude d’un adolescent, la petite école de campagne et le vent permanent du Wyoming.

 

J’aime le bruit des chevaux la nuit. Leurs sabots qui se soulèvent. Leur piétinement. Le cliquetis de leurs fers contre la pierre. Ils s’embrassent, ruent, couinent, tournoient, s’agitent, toussent, se lèvent, reniflent. Les gargouillis de tous ces estomacs se combinent. Ils paraissent plus grands qu’ils ne sont. L’air a un goût de cheval, il paraît vivant, animé par leur énergie, par leur force généreuse.

 



 

5 commentaires:

keisha a dit…

Mais oui, j'ai lu Un vie inachevée, mais pas sa suite, et cette autobiographie en pudique retenue, je ne connaissais pas.
https://enlisantenvoyageant.blogspot.com/2012/11/une-vie-inachevee.html
Oui, le Wyoming... (soupirs)

nathalie a dit…

Ah oui il a aussi écrit des romans, mais j'avoue qu'ils m'intéressent moins alors que cette autobiographie, très pudique comme tu dis, est vraiment réussie.

eimelle a dit…

ce que tu en dis me parle beaucoup, je note!

je lis je blogue a dit…

Je viens de lire sur le site de Babelio que ce livre est "dans la lignée de Jim Harrison, Rick Bass ou James Galvin". Je sais bien que c'est un peu superficiel de comparer des écrivains mais ton billet me confirme que cette autobiographie pourrait me plaire.

nathalie a dit…

@eimelle : c’est vrai que tu aimes les chevaux toi ! Tu devrais aimer en effet.

@JeLisJeBlogue : je ne sais pas trop ce que valent ces comparaisons. C’est vrai qu’il y a quelque chose de Bass (mais des trois, c’est celui que je connais le mieux), un auteur que j’aime bien par ailleurs.