Raymond Carver, Les Vitamines du bonheur, parution originale 1983, traduit de l’américain par Simone Hilling, aux Éditions de l’Olivier en France.
S’il y a des vitamines, il y a peu de bonheur dans ces nouvelles mettant en scène les habitants ordinaires des villes américaines. Tranche de vie du quotidien, rencontre avec un personnage en proie aux difficultés, drame soudain, petit désenchantement de tous les jours… Un couple. Un homme qui essaie d’arrêter de boire et sa femme qui lui donne une seconde chance. Un homme qui a perdu son emploi et le frigo qui lâche. La répétition des jours qui se suivent et se ressemblent, ni tristes ni lumineux. Une fille qui vit en faisant du porte-à-porte et en vendant des vitamines. Un homme qui a un problème de bouchon d’oreille, mais peut-être d’autres problèmes aussi. Un couple de ramoneurs. Un homme qui explique à un aveugle ce qu’est une cathédrale (et ça, c’est assez chouette).
Ils hochèrent la tête quand le boulanger se mit à parler de la solitude, de cette impression de doute et du sentiment d’avoir atteint ses limites qu’il ressentait avec l’âge. Il leur dit ce que c’était que d’avoir passé toute une vie sans enfants. Il leur parla des jours qui se répétaient, avec les fours tout le temps pleins et tout le temps vides. La préparation des buffets, des fêtes. Les glaçages épais. Les petits mariés plantés en haut des gâteaux de noces. Des centaines, non, des milliers, maintenant. Les anniversaires. Vous voyez ça, toutes ces bougies qui brûlent. Il exerçait une profession utile, nécessaire. Il était boulanger.
Andrews, Portrait de T. Behrens, 1962, Thyssen Bornemisza |
L’écriture a quelquefois la sécheresse absurde d’un Brautigan, mais la fantaisie et la folie en moins. Je pense à cette première histoire où le narrateur est invité chez un couple d’amis et regarde leur bébé – leur bébé moche – jouer avec un paon. Dans ce monde fait de petites déceptions et de passions tristes, il peut quand survenir des moments étranges.
Alors une espèce de vautour s’est envolé lourdement d’un arbre et a atterri juste devant la voiture. Il a secoué son plumage. Il a tourné son long cou vers la voiture, a levé la tête et nous a regardés.
« Nom de Dieu ! » j’ai dit. Je suis resté là, les mains sur le volant, à regarder la bête.
« C’est pas croyable, a dit Fran. J’en avais jamais vu un en vrai, avant. »
On savait tous les deux que c’était un paon, bien sûr, mais on n’a pas prononcé un mot.
Des petits textes qui font une forte impression.
Beaucoup d'écrivains américains considèrent Carver comme un maître. Moi j'ai trouvé ses nouvelles plutôt monotones, à déguster sans excès...
RépondreSupprimer@Sandrine Oui immense réputation. Pour moi les nouvelles ne sont pas monotones, mais l'ensemble campe un monde de la grisaille. L'art du récit est très réussi, mais l'effet sur moi n'est pas très réconfortant.
RépondreSupprimerA propose de journaliste aveugle, tu connais Laetitia Bernard? Ses interviews du samedi sur Inter sont vraiment intéressantes.
RépondreSupprimerLe personnage est aveugle, mais pas journaliste !
RépondreSupprimerSur France Culture aussi un journaliste est aveugle, il traite notamment des sujets liés à l'éducation, mais évidemment, cela ne s'entend pas.
J'ai l'impression qu'on y retrouve le ton de "Neuf nouvelles et un poème", seul recueil que j'ai lu de cet auteur, que j'avais apprécié, mais dont il ne m'est pas resté grand-chose avec le temps. C'est sans doute lié à son "créneau", oui, cette description de vies ordinaires, sans flamboyance, que viennent "gauchir ou briser" des drames ou des petits accrocs (je reprends un extrait de mon billet :))..
RépondreSupprimer@Ingannmic : c'est exactement ça. C'est brillamment rendu, mais alors ce n'est pas forcément un phare dans notre mémoire, surtout que certains récits sont un peu déprimants.
RépondreSupprimerRaymond Carver m'intimide un peu. Je n'ai jamais osé le lire. En te lisant, je ne suis pas sûre d'être prête mais je me fais peut-être une montagne pour rien ?
RépondreSupprimerOui ! le maître de la nouvelle ! Au début, on est surpris par cette sobriété, cette économie de moyens, cette vision faite de riens, mais peu à peu on sent tout ce qu'il y a derrière les mots, derrière ces petites choses de la vie, au ras de l'humain, tous les non-dits, et l'on se sent gagné par l'émotion. Mais cela ne vient pas tout de suite !
RépondreSupprimer@JeLisJeBlogue : ce n'est peut-être pas ton style, pas la peine de te forcer s'il ne te dit rien.
RépondreSupprimer@ClaudiaLucia : c'est un maître, mais le monde qui est peint n'est pas facile à appréhender.