La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



jeudi 21 mars 2024

Le corps comme une outre molle qui grossit, enserrée de tous côtés par la terre et l’obscurité.

 


Antonio Moresco, La petite lumière, parution originale 2009, traduit de l’italien par Laurent Lombart, édité en France par Verdier.

 

Le narrateur vit seul, dans un hameau abandonné. Quand la nuit tombe, il aperçoit une petite lumière, au loin, à un endroit où il ne devrait y avoir personne. Il pose des questions à quelques personnes et puis un jour il se décide à y aller.


Je suis venu ici pour disparaître, dans ce hameau abandonné et désert donc je suis le seul habitant.

Le soleil vient tout juste de s’effacer derrière la ligne de crête. La lumière s’éteint. En ce moment, je suis assis à quelques mètres de ma petite maison, face à un abrupt végétal. Je regarde le monde sur le point d’être englouti par l’obscurité. Mon corps est immobile sur une chaine en fer dont les pieds s’enfoncent de plus en plus dans le sol, et pourtant, de temps en temps, j’ai le souffle coupé, comme si je chutais assis sur une balançoire aux cordes fixées en quelque endroit infiniment lointain de l’univers.


Ce court roman vaut surtout pour son atmosphère. Si on a lu quelques romans, on a des idées sur ce qui peut advenir. Mais l’atmosphère… Si le lecteur imagine au début un climat de fin du monde, il se rend compte quand même que le narrateur se rend en voiture une fois par semaine au village pour s’approvisionner. Là-bas, les gens regardent la télévision. Pourtant la région semble progressivement abandonnée. Lui-même vit dans un hameau abandonné. Les arbres poussent au milieu des maisons et le seul lieu éclairé est le cimetière. Plus loin, un autre hameau où vit un seul homme, mais qui a dressé des chiens pour attaquer tous ceux qui viendraient par là. Plus loin, les seuls qui continuent à cultiver les terres sont des réfugiés venus de loin. Surtout, le narrateur a une vision de la nature qui l’environne marquée par la mort et la lutte de chaque espèce contre les autres. Si une guêpe sort d’une figue, il n’y voit pas l’acte reproducteur qui permet à la vie de continuer en symbiose, mais des bêtes qui s’insinuent partout pour apporter mort et pourriture. Sa perception des hirondelles (qui semblent être des martinets) est de même, étrange, et presque pervertie par un sentiment de menace et de danger.

Je reconnais que c’est assez envoûtant.

Le roman raconte l’irruption de l’étrange malgré tout dans une existence qui semble réglée par le quotidien.

Van Gogh, L'Oliveraie, 1889 privé.


Le ciel est traversé par les dernières hirondelles qui volent, çà et là, comme des flèches. Elles passent en rase-mottes au-dessus de moi, s’abattant tête la première sur de vastes sphères d’insectes suspendus entre ciel et terre. Je sens le vent de leurs ailes sur mes tempes. Je vois distinctement devant moi le corps noir, plus caréné et plus grand, de quelque insecte englouti par une hirondelle qui le suivait le bec grand ouvert en lançant des cris. Le silence est tel que j’arrive même à entendre le craquement de son corps qui continue à souffrir, broyé et démembré, dans le corps de l’autre animal qui remonte grisé dans le ciel.

 


8 commentaires:

  1. un roman qui m'a enchanté et que j'ai relu depuis avec le même plaisir
    il me fait penser à Maison des autres de Silvio d'Arzo

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  2. @Dominique : ah je ne connais pas celui dont tu parles. Moi j'ai vaguement pensé à La Peau froide de Piñol.

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  3. J’ai lu la bd du même titre de Gregory Panaccione.
    Je note le roman.Oui il y a une atmosphère étrange qui s’en dégage.

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  4. Tu as vu que le roman a été adapté en BD, l'an dernier ? Les dessins sont de Grégory Panaccione chez Delcourt. C'est très beau

    https://www.editions-delcourt.fr/bd/preview/la-petite-lumiere

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  5. je suis passée un peu à côté, j'en attendais plus

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  6. @Carmen et @JeLis : ben non je ne savais pas. C'et un livre que l'on m'a prêté et je ne savais pas, je vais aller voir ça.

    @Eimelle : c'est plus une atmosphère qu'une histoire.

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  7. Je ne me souviens pas du tout de l'histoire, simplement d'avoir apprécié, en effet, son atmosphère, entre torpeur et étrangeté..

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  8. @Ingannmic : On est un peu flottant, c'est un peu inquiétant... mais peu de choses...

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