August Šenoa, Prends garde à la main de Senj, parution originale 1876, traduit du croate par Chloé Billon, édité en France en 2023 par Faustine.
Au commencement, en 1600, une belle jeune fille échappe à un riche vénitien qui veut s’emparer d’elle et elle s’enfuit auprès d’un courageux jeune homme.
Ensuite, nous entrons dans la grande histoire : celle de la forteresse de Senj (actuelle côte croate) où vivent les Uscoques qui sont qualifiés aussi bien de guerriers que de pirates, mais qui sont censés être payés par les Habsbourg contre les Ottomans et surtout contre Venise. Sauf que la Sérénissime est décidée à se débarrasser de cette engeance par un blocus maritime, la trahison, la tromperie, tout ça… Est-ce que Senj réussira à être libre et notre jeune fille à garder son beau fiancé ?
Un homme grand, large, au torse puissant, entra dans la pièce. Il avait le visage long et pâle, mais beau, ses yeux noirs dansaient comme la foudre sur la mer, sa barbe noire lui tombait jusqu’à la ceinture, ses cheveux étaient coupés court. Ce corps robuste et harmonieux était vêtu d’une robe de toile bleue, d’étroits pantalons noirs, et sa tête était coiffée d’un bonnet rouge.
C’est un grand roman de cape et d’épée (Alexandre Dumas n’est pas si loin), d’amour et de férocité, à la sauce du XIXesiècle – très divertissant. En 230 pages, nous parcourons aussi bien les rues et la forteresse de Senj, les palais vénitiens, la cour des Habsbourg, que les petites maisons où les Uscoques souffrent la violence de la guerre.
La mer étale se déroulait comme de la soie verte, et le jeune soleil de mai dardait son or sur les vagues de la mer croate, par-delà les îles de Krk, Rab et Prvić ; le soleil de mai se dressait au-dessus des remparts et de la tour de la ville de Senj qui, ceinte d’une épaisse forêt de chênes, se pressait, ombrageuse, à l’abri des sommets des monts Vratnik, Orlovo gnijezdo et Trbušnjak.
Écrit sans prétention, la seule difficulté provient peut-être de l’abondance de noms propres et de personnages, entre lesquels il peut être difficile de se repérer, mais cela campe une atmosphère de passion. Les personnages sont taillés au sabre, avec un certain pittoresque. J’ai apprécié les évocations du paysage avec la bora – le vent – qui souffle sans cesse et tient peut-être la première place sur cette mer Adriatique, la lune et l’écume des vagues.
La petite touche XIXe siècle, c’est aussi que les Uscoques du roman se définissent sans cesse comme croates. On est à l’époque des grandes épopées littéraires historiques pour tous les peuples d’Europe.
Casque de parade en acier XVIe siècle, Palais Royal de Turin |
Ici les méchants sont méchants, les jeunes filles pures, les héros à la large poitrine, les traîtres punis. Je l’ai lu en partie dans le bus, sur l’autoroute, pour aller travailler, et c’était une lecture agréable, distrayante et dépaysante, un plaisir.
Un jour trouble s’étendait sur la ville, des nuages gris se pourchassaient dans le ciel, la mer clapotait dans le port vide, léchant la plage comme un serpent qui traque sa proie, et des hauteurs sifflait la bora, étouffant le triste gémissant des cloches de l’église, les coups sourds des tambours ; par instant seulement, on entendant les pas lourds des sombres arquebusiers, qui patrouillaient en petits groupes pour fouiller toutes les maisons uscoques, pour y prendre toutes les richesses qu’ils y trouvaient.
Si vous avez besoin d’un pense-bête sur les Uscoques, voici le lien Wikipedia. À noter que George Sand leur a consacré une nouvelle, qui n’a pas l’air folichonne, et que le roman de Šenoa a été adapté en BD par Andrija Maurović.
Grand merci à Vincent Didelot des éditions Faustine pour sa confiance et à Passage à l’Est pour avoir servi d’intermédiaire.
Après mes 8 jours au montenegro (juste au sud) et mes visites de villes vénitiennes dans le coin, je visualise bien. J'aime bien ta première citation au début, heu, ça se lit quand même ce genre de truc? divertissant, OK!
RépondreSupprimer@Keisha : ça se lit quand tu es bien épuisée et que tu as besoin d'un truc feuilletonesque, assez léger.
RépondreSupprimerLe livre ne doit pas être très facile à trouver. Merci en tout cas pour la découverte.
RépondreSupprimerCela fait bien envie, je retournerais bien visiter les villes vénitiennes et les voir vivantes et pas seulement livrées aux touristes!
RépondreSupprimeril est difficile à trouver!
RépondreSupprimerJe suis bien contente de lire ta chronique même si j'ai eu un peu peur en lisant ta citation-titre. En même temps, ce n'est rien de très inhabituel pour l'époque, comme style de caractérisation des personnages, n'est-ce pas? J'attends mon tour pour embarquer pour Senj (mais pas cet été).
RépondreSupprimer@JeLis et @Miriam : oui un peu confidentiel !
RépondreSupprimer@Miriam : attention il y a seulement un chapitre à Venise, parce que les Vénitiens sont les méchants de l'histoire.
@Passage : c'est même carrément ça, tous ces grands romans historiques (franchement dans Dumas il y a des trucs...), il faut accepter de se laisser embarquer dans l'aventure.
Oh, un roman de cape et d'épée croate, quelle trouvaille! Je suis très tentée d'autant que le roman est plutôt court au contraire de ceux de Dumas (pas exempt de situations caricaturales lui non plus, je suis tout à fait d'accord avec toi !).
RépondreSupprimer@Sacha : Oui on se gausse facilement mais c'est tout à fait ce genre là et franchement ça se lit avec plaisir.
RépondreSupprimer