Eduardo Fernando Varela, Roca pelada, parution originale 2023, traduit de l’espagnol par François Gaudry, édité en France par Métailié.
Un poste frontière perdu tout là-haut dans les montagnes, dans une cordillère de roches, inaccessible, où l’oxygène est rare. Le héros est le lieutenant Costa, un homme qui est en poste depuis sans doute trop longtemps, qui scrute le territoire à la jumelle, voit des rochers se déplacer et semble de moins en moins gérer son détachement.
Un roman où ce qui compte d’abord, c’est l’atmosphère, légèrement décalée et surréaliste, mais pas trop, juste ce qu’il faut de surréel pour que l’on se pose des questions.
Une partie de son esprit glissait comme une ombre entre les abîmes du sommeil, l’autre flottait vigilante dans le silence glacial qui régnait à l’aube sur l’altiplano. Une heure plus tard il sentit dans son dos un fugace tremblement de la cordillère qui parcourut son corps comme un frisson et l’air raréfié des hauteurs finit par le réveiller. Ces brefs séismes provenant de la chaîne des volcans n’étaient perceptibles que dans le silence immobile de la nuit, mais ils se prolongeaient subtilement comme une caresse invisible.
Les roches et les points cardinaux s’affolent et se déplacent. Les séismes font entendre leur grondement. La troupe de Costa est composée de « tropicaux », habitués des marécages et des moustiques, totalement inadaptés à ces confins, non pas des méridionaux, mais des « mésopotamiens ». Les sons remontent ou descendent selon la température. Des hommes attirent l’électricité ou risquent de se couvrir de mousse. Tout cela est-il réel ? Ou les sens sont-ils perturbés par l’usage des feuilles de coca ? Ou par la solitude ? Pendant des pages et des pages, Costa observe à la jumelle le baraquement d’en face, celui de l’ennemi, les différents sommets qui l’entourent, voit des choses ou ne voit rien. Difficile pour le lecteur de se faire une opinion. Serait-il dans un remake du Désert des tartares ? Que nenni. Alors que l’on croit qu’il ne se passera rien (oups ? 300 pages comme cela ?), tout s’emballe dans la montagne. Un nouveau commandant arrive en face, une rousse, des jeunes errent à la recherche d’un vieux sorcier, Costa fait des rêves historico-archéologiques, le train arrive et avec lui le monde extérieur, une puma met bas ses petits… Comme dans la Patagonie, les événements se succèdent et Costa, un temps complètement à la dérive, finit miraculeusement par trouver un sens à sa vie.
Courbet, Panorama des Alpes, 1876, Genève musée d'art et d'histoire de la ville |
Une bonne lecture. J’avoue m’être un peu traînée au début, mais il faut dire que j’ai commencé le roman alors que j’étais totalement épuisée par le boulot et déprimée par le contexte français. Ensuite, je me suis plongée dedans, appréciant d’échapper au monde contemporain pour ce récit burlesque.
Les pays frontaliers ne sont jamais nommés, et si nous nous trouvons dans un contexte que l’on qualifiera de latino-américain, les points de côté ne sont pas rares et apportent une petite perturbation à l’ensemble, une fantaisie bien agréable.
L’absurdité administrative d’une frontière tracée à la peinture en pleine montagne s’ajoute à cet univers irréaliste. Les petits hommes en vert sont réduits à regarder passer les fourmis et les rapaces.
La ligne de démarcation entre les deux pays était comme un serpent affolé qui glissait et se tordait d’un côté à l’autre en gravissant les parties les plus hautes de la cordillère. Les deux pays avaient ainsi des limites à chaque point cardinal, à certains endroits on se trouvait à l’est du précédent et au suivant c’était l’inverse. La rose des vents n’était plus une certitude inamovible, elle devenait ici un œillet fantastique, une lierre qui grimpait anarchiquement sur les flancs des volcans.
De l'auteur j'ai également lu Patagonie route 203.
Le sujet pourrait me plaire et les éditions Métailié sont une bonne référence mais le côté surréaliste me refroidie un peu
RépondreSupprimerC'est un peu loufoque, ça fait du bien des fois.
SupprimerJe peine un peu en ce moment à accrocher à mes lectures, il y a des moments comme cela ... Alors, je vais passer ce titre, l'idée de regarder passer des fourmis me décourage d'avance !
RépondreSupprimerAh ah c'est passionnant les fourmis, surtout que personne ne sait d'où elles viennent. Mais je comprends, il est peut-être un peu long à démarrer avant de devenir bien barré.
SupprimerIl me semble que je l'avais commencé (oui, le fabuleux désert des Tartares!) mais sans persévérer...
RépondreSupprimerJe comprends, le début est un peu répétitif, mais j'étais contente d'avoir tenu bon.
SupprimerJ'ai d'abord prévu de lire Patagonia (le lien vers ton article ne fonctionne pas, d'ailleurs). Je viens de terminer un court roman mexicain où il est aussi question de frontière, dans un univers là aussi innommé mais tout à fait reconnaissable. Un texte assez étrange à vrai dire...
RépondreSupprimerMerci, je viens de corriger les liens. Patagonia est plus facile à lire, mais je trouve que les deux sont réussis.
SupprimerJ'attends de voir ton titre mexicain alors.
Il y a aussi sur La Patagonie”Fin de roman en Patagonie”de Mempo Giardinelli, c’est plus ancien mais c’est un bon auteur argentin.
RépondreSupprimerAh merci de la recommandation, je vais me renseigner.
SupprimerAh, je me disais justement en lisant les premières lignes de ton billet que ça m'évoquait fort Le désert des tartares, qui ne m'a pas laissé un très bon souvenir (je pense l'avoir lu trop jeune, cela dit). Ce roman semble plus "animé" et loufoque en effet, je ne sais pas si j'apprécierais davantage. A voir !
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