Flannery O’Connor, Les Braves gens ne courent pas les rues, parution originale 1953, traduit de l’américain par Henri Morisset.
Un recueil de nouvelles.
Alors, ce n’est pas très gai. Dans une Amérique modeste, majoritairement rurale (ou de petites villes), on s’exploite, on se truande, on est cruel et sans morale. On fait face à la lassitude et aux contrariétés de l'existence, mais sans bonté d'âme particulière. Et tout est raconté au scalpel.
Elle était trop fatiguée pour dénouer l’étreinte de ses bras autour du sac, ou pour se redresser – elle restait sur place, le buste affalé, la tête posée sur le haut du sac comme un énorme légume rouge.
Nous croiserons donc :
· Une famille partant en vacances, où tout le monde s’envoie des vannes, et une équipe de tueurs tarés (le ton de cette nouvelle est très particulier, volontiers ironique).
· Un enfant tout heureux d’échapper à ses parents indifférents le temps d’une journée et de rencontrer un prêcheur qui le baptise.
· Un homme qui se donne du mal pour se procurer une voiture et partir au loin en plantant là une fille et sa mère qui trouve que ce serait une bonne affaire de se procurer un gendre pour effectuer tout l’entretien des bâtiments.
· Des adolescentes qui vont à la foire – des gourdes, comme dit Sandrine.
· Plusieurs personnages handicapés, physiquement ou moralement, ce qui ne les mets pas à l’écart de la condition commune : intéressés mais bêtes, intéressés mais malins.
· L’omniprésence d’une religion rétrograde qui enferme les gens dans leur quotidien sans espoir ;
· Une errance longue comme un jour de chaleur dans une ville qui ressemble à un enfer ;
· Des femmes qui dirigent une ferme, car il y a plusieurs personnages de femmes fortes, mais avec un égoïsme et une dureté de cœur sans pareil – ce qui n’empêche pas de se faire avoir également.
· Des noirs que tout le monde craint et méprise – on célèbre les grands combats de la guerre de Sécession dans des foires en costume.
Mary Ellen Mark, Tiny, Seattle 1983 |
O’Connor a une façon de raconter en quelques pages une relation, un rapport de forces qui s’installe, plus ou moins insidieusement. Les personnages semblent n’avoir aucune chance d’échapper à la mécanique qui les laissera, au mieux, seuls et démunis de tout. Le tout dans une langue ciselé.
C’est très noir (et j’avoue que c’est un peu plombant pour le moral).
Lucynell avait une longue robe blanche que sa mère avait exhumée d’une malle, et un panama avec, sur le bord, un bouquet de cerises en bois, d’un rouge éclatant. Par moments, son air placide était troublé par l’apparition furtive de quelque pensée un peu malicieuse, aussi solitaire qu’une pousse verte surgie aux sables du désert.
Outre l’expression neutre qu’elle prenait lorsqu’elle était seule, Mrs Freeman en possédait deux autres, l’une en marche avant, l’autre en marche arrière, qu’elle employait dans tous ses rapports avec autrui.
Je suis d’accord avec elles deux. C’est brillant et cruel, et pas un personnage ne s’en sort indemne, mais j’ai été manifestement davantage accablée qu’elles. Je crois que j’avais besoin de quelque chose de plus réconfortant (et de fait, aucun réconfort dans ces nouvelles). Je vous conseille de plutôt faire confiance à leurs billets !
Déjà noté, tu enfonces le clou des deux autres (et à réserver quand on est en grand optimisme, non?)
RépondreSupprimerNon mais toi, je crois que tu as plus le moral souriant que moi. Ça ira.
SupprimerDécidément, on croise d'excellents auteurs pour cette édition 2025 des Bonnes nouvelles ! Bon, je note qu'il faut lire ce titre quand on est bien dans ses baskets. Merci pour cette suggestion de lecture.
RépondreSupprimerC'est-à-dire qu'on a viré tous les mauvais.
SupprimerAïe, effectivement, peu de réconfort dans les textes de cette nouvelliste à la dent dure !
RépondreSupprimerOui même les textes à fin positive ont un ton particulièrement triste.
SupprimerJ'aime vraiment beaucoup l'auteur et le recueil m'a plus même si comme toi à certains moments c'est un peu accablant
RépondreSupprimerÀ éviter en ce moment.
SupprimerJe l'avais repéré l'an dernier, mais je note qu'il pleut plomber. Je vais donc le garder pour plus tard, j'ai déjà eu une lecture accablante en ce début d'année (billet à venir le 27, pour les lectures sur l'Holocauste chez toi...).
RépondreSupprimerJe reconnais que le thème peut également atteindre le moral.
SupprimerMerci pour le référencement. Oui, c'est plombant, mais quelle langue (comme tu le soulignes) !
RépondreSupprimerCe serait beaucoup moins fort si c'était moins bien écrit.
Supprimer