La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 9 septembre 2025

Ça m'ennuierait qu'il se perdît. – Cette contrariété lui fut épargnée.

 

Joseph Conrad, Typhon, parution originale 1918, traduit de l'anglais par André Gide, en France édité chez Folio.

Tout commence avec le portrait d'un capitaine de navire anglais, bon sens et intelligence limitée, zéro ampleur romanesque. Il navigue sur un bateau en mer de Chine – un des premiers pavillons de complaisance de la littérature, puisqu'ils sont tous anglais, sauf le drapeau qui bat l'éléphant du royaume de Siam. Le bateau, un solide vapeur, ramène 200 coolies chinois qui ont travaillé dur et rentrent chez eux (ah les entreprises coloniales qui trimballent leur main d'œuvre...). Sauf que le bateau est pris dans un typhon. Non pas une tempête, ou un ouragan, un typhon.

C'est l'imagination qui nous rend susceptibles, arrogants et difficiles à contenter ; tout navire commandé par le capitaine Mac Whirr devenait le flottant asile de l'harmonie et de la paix.

Est-ce bien le sujet du livre ? Bien sûr, il y a les avalanches d'eau qui s'abattent sur le navire, l'immense mur d'une vague qui l'engloutit, la description saisissante de l'œil, ce calme plat circulaire avant la reprise du déchaînement des éléments. Tout cela est très bien raconté grâce à la connaissance précise que Conrad a des bateaux, de leurs machines et des interactions entre les différents corps du métier – entre les marins de ponts et les ouvriers qui enfournent le charbon.

Mais c'est une nouvelle et un grand écrivain. Les petits faits du début s'assemblent pour former le contenu des dernières pages. Il y a une immense ellipse, magistrale, et la lettre qui raconte l'événement n'est lue par personne, etc. C'est une dernière lettre qui racontera à sa manière ce qui s'est passé, avec l'humour lié à un personnage précis.

Broutelles, Naufrage du Victoria sur les roches de l'Ailly, 1887 Musée de Dieppe

Variation sur un récit de tempête avec son exotisme raciste ? Oui, mais pas seulement. Conrad fait marcher à plein sa technique de romancier, avec l'alternance de points de vue, l'insertion de l'humour dans ses portraits (ah ! la sagesse de Salomon !). Et malgré tout, cela reste un grand récit de tempête. De là à penser que Conrad joue de nos attentes et du genre même de « livre de tempête »... il n'y a qu'un pas, que je franchis.

En observant la baisse persistante du baromètre, le capitaine Mac Whirr pensa donc : « Il doit faire quelque part un sale temps peu ordinaire. » Oui, c'est exactement ce qu'il pensa. Il avait l'expérience des sales temps moyens – le terme sale appliqué au temps n'impliquant qu'un malaise modéré pour le marin.

Devant ses yeux les machines tournaient avec une laborieuse lenteur, prêtes à s'arrêter net au cri de M. Rout : « Attention ! Beale ! » pour repartir ensuite avec une précipitation folle. Elles restaient en arrêt dans une attente intelligente, immobilisées au cours de leur révolution, – une lourde manivelle arrêtée dans le vide ; on eût dit qu'elles étaient conscientes du danger et de la fuite du temps. Puis, sur un « Repartez » du chef, et avec le bruit d'un souffle chaud à travers des dents serrées, elles achevaient la révolution interrompue et en recommençaient une autre.

Un livre qui séduira les amatrices de book trip en mer et de bonnes nouvelles.

L'avis d'Ingannmic.

De Conrad, j'ai aussi lu Le Nègre du "Narcisse".


10 commentaires:

  1. Ah, je retiens pour les nouvelles ! Je sais que j'ai déjà lu au moins un roman de Joseph Conrad (peut-être L'agent secret) et une adaptation en BD d'"Au cœur des ténèbres". Il faudrait que je lise d'autres ouvrages pour faire véritablement une idée du style de Joseph Conrad

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    1. J'aime bien parce qu'il raconte vraiment la réalité de la vie sur un bateau, avec toute la place donnée à l'équipage.

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  2. J'aime beaucoup ta description du capitaine en début de billet.. un texte fort habile et très intense, oui...

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    1. Au vu du titre, on s'attend à lire le récit d'un typhon n'est-ce pas, mais tout est fait pour nous orienter sur autre chose. C'est très habile !

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  3. Tu sais me parler, avec le subjonctif.
    Plus sérieusement, oui, Conrad, parfait pour ce book Trip!

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  4. On m'a offert le Pleiade de Conrad pour mes 50 ans. 2' ans qu'il dort sur l'étagère. Il faut que je dépoussière

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    1. On t'en fait des super cadeaux toi ! Tu as de la chance. En effet, il faut que tu le sortes.

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  5. C'est un livre que je me propose toujours de lire et... Allez ! ca viendra!

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    1. Il est tout petit et magistral, pour t'encourager.

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