La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



vendredi 24 octobre 2025

La saudade c'est attendre que la farine redevienne du grain.

 


Mia Couto, L'Accordeur de silences, première publication au Brésil en 2009, traduit du portugais par Elisabeth Monteiro Rodrigues, édité en France par Métailié.

Le narrateur est Mwanito, un enfant, qui vit à Jésusalem, un grand terrain, au Mozambique, ancienne réserve de chasse, avec son père, son grand frère, son oncle, un autre homme et une ânesse. Il hérite de la vision du monde de son père, que l'on devine plus ou moins fou et/ou menteur : le monde n'existerait plus, il n'y aurait plus personne, interdit de pleurer ou de prier, etc. Bien sûr c'est l'histoire d'un enfant qui grandit et d'une vision du monde qui explose sous les coups de la réalité.

Une longue première partie nous dresse le panorama de cette existence, des croyances du père aux découvertes des enfants. Ensuite, une femme blanche apparaît à la recherche d'un homme et les événements se précipitent.

Et je conclus que la « maladie du siècle » était un ennoyautement du passé, un mal composé du temps.

J'ai beaucoup aimé cette lecture, mais je me sens incapable de vous en parler. L'essentiel est la langue et la poésie, le souvenir des morts qui sont toujours à la limite des rêves et qu'il faut tenir à distance, les mots que Mwanito apprivoise en cachette et qu'il écrit en cachette sur des cartes à jouer, les histoires que l'on (se) raconte pour tenir bon.

C'est aussi la découverte par un enfant de l'espoir et de la saudade, qui ont disparu de ce lieu étrange nommé Jésusalem, mais qui continuent d'exister et qui donnent ensuite son épaisseur à la vie. Les mots créent un monde envoûtant, avec sa propre logique, où le lecteur se meut doucement et au chaud, comme bercé par cette langue unique.
L'accordeur de silences ? C'est Mwanito lui-même, ainsi surnommé par son père.

Dunand Jean, Antilopes affrontées, 1930, laque, Quai Branly


La première fois que j'ai vu une femme j'avais onze ans et je me suis trouvé soudainement si désarmé que j'ai fondu en larmes. Je vivais dans un désert habité uniquement par cinq hommes. Mon père avait donné un nom à ce coin perdu. Simplement nommé : « Jésusalem. » C'était cette terre-là où Jésus devrait se décrucifier. Et point, final.

C'est le début.

La famille, l'école, les autres, tous élisent pour nous une clarté prometteuse, un territoire dans lequel briller. Les uns sont nés pour chanter, d'autres pour danser, d'autres simplement nés pour être autres. Je suis né pour me taire. Le silence est mon unique vocation. C'est mon père qui m'a expliqué : j'ai un don pour ne pas parler, un talent pour épurer les silences. J'écris bien, silences, au pluriel. Oui, car il n'est pas de silence unique. Et chaque silence est une musique à l'état de gestation.

C'est une lecture commune.

Mia Couto sur le blog :

Le dernier vol du flamant : la sorcellerie et les soldats de l'ONU, l'humour et la mélancolie
Le cartographe des absences : la décolonisation, mais aussi un ouragan qui emporte tout (hey ! vous pourriez commencer par celui-ci !)
Terre somnambule : son premier roman, avec une invention langagière belle et évocatrice - je crois que c'est celui que j'ai préféré






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