La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mercredi 15 octobre 2025

Non, sire, ils ne m'adorent pas, ils me soutiennent.

 

Émile Zola, Son Excellence Eugène Rougon, 1876.

Ce volume nous plonge au cœur de la vie politique du Second empire. Les précédents volumes s'en approchaient en évoquant la brutalité du coup d'État, les magouilles financières et immobilières, le contrôle social, mais ici il est question du Parlement, des ministres, de l'empereur et de la façon dont un petit groupe s'accapare l'argent, l'influence et le pouvoir.

Il n'y avait pas cent députés présents. Les uns se renversaient à demi sur les banquettes de velours rouge, les yeux vagues, sommeillant déjà. D'autres, pliés au bord de leurs pupitres comme sous l'ennui de cette corvée d'une séance publique, battaient doucement l'acajou du bout de leurs doigts.

Le personnage principal est Eugène Rougon, présent à l'arrière-plan de plusieurs des précédents romans, président démissionnaire du Conseil d'État, ministre de l'Intérieur, tombant en disgrâce, remontant en selle, parti et toujours revenu, brutal et autoritaire, aimant le pouvoir pour lui-même.

Quand il marchait, il enfonçait son tapis à coups de talon, pour qu'en entendît la lourdeur de son pas aux quatre coins de la France. Son désir était de ne pouvoir poser son verre vide sur une console, jeter sa plume, faire un mouvement, sans donner une secousse au pays. Cela l'amusait d'être une épouvante, de forger la foudre, au milieu de la béatitude de ses amis, d'assommer un peuple avec ses poings enflés de bourgeois parvenu.

Il ne se passe pas grand-chose dans ce roman. Le régime passe d'un autoritarisme assumé à un libéralisme très contrôlé. L'idée est plutôt de dresser le portrait d'une classe sociale et d'un fonctionnement, où un petit groupe s'allie en fonction des ses intérêts sans considération pour le bien commun ou pour sa colonne vertébrale (tout n'a pas vieilli). Ici, on ne reprochera pas à Zola de faire preuve de cruauté envers ses personnages, puisqu'ils sont tous, plus ou moins, antipathiques. De fait, le roman est plutôt réussi.

Une place à part quand même pour Clorinde Balbi, qui grimpe les échelons du pouvoir avec les armes à sa disposition. Elle est bien l'égale de Rougon, en jouant un jeu dangereux et habile, mais le discours tenu sur elle est évidemment puissamment sexiste. Enfin, voilà un personnage qui a de l'allure.

Un mot sur un personnage à part, parce que seule figure historique incontournable : l'empereur Napoléon III. Il apparaissait comme une ombre au Bois dans La Curée, le voici placé en pleine lumière. Du moins en apparence, car Zola le peint le plus souvent comme une silhouette vide, yeux éteints, face blanche et malade, présence absence autour de laquelle tout le cirque de la Cour tourne et s'agite.

À la fin du roman, le projecteur tombe sur cinq députés républicains, droits et stoïques face à la rage de l'Empire.

Rougon, à son tour, tonnait contre les livres. Il venait de paraître un roman, surtout, qui l'indignait ; une œuvre de l'imagination la plus dépravée, affectant un souci de la vérité exacte, traînant le lecteur dans les débordements d'une femme hystérique. Ce mot d' « hystérie » parut lui plaire, car il le répéta trois fois. Clorinde lui en ayant demandé le sens, il refusa de le donner, pris d'une grande pudeur.

Il voulut repartir à pied. Les Champs-Élysées étaient un lac de boue, une boue jaune, fluide, qui, de l'Arc de Triomphe à la place de la Concorde, mettait comme le lit d'un fleuve vidé d'un trait. L'avenue restait déserte, avec de rares piétons se hasardant, cherchant la pointe des pavés ; et les arbres, ruisselant d'eau, s'égouttaient dans le calme et la fraîcheur de l'air. Au ciel, l'orage avait laissé une queue de haillons cuivrés, toute une nuée sale, basse, d'où tombait un reste de jour mélancolique, une lumière louche de coupe-gorge.

Rougon, par son discours, venait de commencer la prodigieuse fortune qui devait le porter si haut.

Cette phrase figure à l'avant-dernière page du roman. Elle annonce de grandes choses... mais on n'en saura pas plus. C'est une habileté.
Plaque de rue à Forcalquier.

J'ai tenté de lire L'Assommoir (1877), mais j'avoue qu'il m'est tombé des mains. Trop déterministe et j'avoue ne pas être capable de lire un truc aussi sinistre. C'est dommage. J'ai quand même pris le temps de chercher le célèbre passage de la noce au Louvre.

Et, lentement, les couples avançaient, le menton levé, les paupières battantes, entre les colosses de pierre, les dieux de marbre noir muets dans leur raideur hiératique, les bêtes monstrueuses, moitié chattes et moitié femmes, avec des figures de mortes, le nez aminci, les lèvres gonflées. Ils trouvaient tout ça très vilain. On travaillait joliment mieux la pierre au jour d’aujourd’hui. Une inscription en caractères phéniciens les stupéfia. Ce n’était pas possible, personne n’avait jamais lu ce grimoire.

Puis, la noce se lança dans la longue galerie où sont les écoles italiennes et flamandes. Encore des tableaux, toujours des tableaux, des saints, des hommes et des femmes avec des figures qu’on ne comprenait pas, des paysages tout noirs, des bêtes devenues jaunes, une débandade de gens et de choses dont le violent tapage de couleurs commençait à leur causer un gros mal de tête.

L'avis d'Alfie et celui de Miriam.

Il m'en reste 13 à lire !

Participation aux escapades européennes littéraires de Cléanthe, ce mois-ci, c'est le naturalisme.







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