La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



lundi 3 novembre 2025

Le reste fut chemin de croix, descente à tous les abîmes du regret.

 

Thomas Mann, La Mort à Veniseparution originale 1912, traduit de l'allemand par Geneviève Bianquis, première publication française chez Fayard.

Une centaine de pages et une histoire archi connue, mais j'ai eu envie de la relire.

Au tout début nous faisons connaissance avec Gustav Aschenbach, écrivain allemand reconnu et célèbre (que nous qualifierions peut-être de vieille baderne). Suite à une promenade et à un visage soi-disant étrange entrevu, il entreprend un voyage sur les côtes de l'Adriatique et après une série d'hésitations, il arrive à Venise. Une Venise enchanteresse et fascinante qu'il n'aime guère, un peu malsaine et pourrissante, souvenir des anciens marais. Dans son grand hôtel, le voici découvrant la beauté d'un adolescent d'une famille polonaise, Tadzio. Il succombe sans lutter à la tentation de se repaître de sa vue (car ils ne s'adresseront pas la parole), de le suivre, de le détailler, sans penser à l'épidémie de choléra qui approche.

Sur une place tranquille, un de ces endroits qui donnent une impression d'oubli et de solitude enchantée comme il s'en trouve au cœur de Venise, il s'assit pour se reposer sur la margelle d'un puits, s'essuya le front et se rendit compte qu'il devait quitter le pays.

Romain malsain par excellence. Cet homme âgé qui se pâme devant un corps encore enfant, se répétant les mots d'éphèbe et de virilité pour camoufler le caractère pernicieux de son désir. Tout est dans le regard et dans les mots d'Aschenbach. Ses rêveries et ses réflexions sont tout entières sous le signe de l'Antiquité grecque, il se voit en Socrate éduquant un jeune homme, transfigure ses pensées en apparition d'Apollon ou de Bacchus... Ce roman est un très bel ouvrage de langage, mêlant la description de la vie des bains de mer à l'évocation poétique.

Venise est campé en décor de cette passion morbide, ville superbe et décrépite, où le choléra rôde, où tout le monde ment pour ne pas effrayer les touristes, décor où l'on se perd à tous les sens du terme.


Il voyait un paysage, un marais des tropiques, sous un ciel lourd de vapeurs, moite, exubérant et monstrueux, une sorte de chaos primitif fait d'îles, de lagunes et de bras de rivière charriant du limon ; d'une profusion de fougères luxuriantes, d'un abîme végétal de plantes grasses, gonflées, épanouies en fantastiques floraisons, il voyait d'un bout à l'autre de l'horizon surgir des palmiers aux troncs velus...
C'est avant d'arriver à Venise. Cet imaginaire de la jungle reviendra dans ses pensées sous la forme du terrible choléra asiatique.

Comment n'y avait-il pas pensé plus tôt ? – Il vit où il fallait aller. Où va-t-on quand on veut du jour au lendemain échapper à l'ordinaire, trouver l'incomparable, la fabuleuse merveille ? Il le savait. Que faisait-il ici ?

J'avoue avoir ressenti la même excitation quand j'ai commencé à préparer mon propre voyage à Venise. Ville de tous les rêves, malgré tout.

Et penché en arrière, les bras pendants, accablé et secoué de frissons successifs, il soupira la formule immuable du désir... impossible en ce cas, absurde, abjecte, ridicule, sainte malgré tout, et vénérable même ainsi.

1912... difficile de se dire que Proust n'a pas pensé à Aschenbach dans les développements finaux de son personnage de Charlus.

Mon premier billetUn billet sur le film.

Cimetière San Michele à Venise. Avril 2025.


Thomas Mann, Les Buddenbrook, parution originale 1901, traduit de l'allemand par Geneviève Bianquis, première publication française chez Fayard.


Initialement j'avais prévu de lire ce (gros) livre, histoire du déclin d'une riche famille de Lübeck, premier roman de Mann, classique.
Las. Après en avoir lu 80 ou 90 pages sans aucun problème – ça se lit bien –, je fus obligée de constater que... je n'en avais rien à faire et que tous ces gens m'ennuyaient. C'est plat comme la Beauce. S'il faut ajouter à cela le constat que l'on est sur un livre déterministe (parce que le « déclin » est dans le sous-titre), je me suis dit que cela suffisait.
Il y a quand même un point qui me paraît notable : les personnages du début du libre parlent allemand ou dialecte plattdeutsch, ou un peu des deux. Les notations sont nombreuses à ce sujet. Cela relève peut-être l'intérêt du texte allemand.

J'ai lu La Montagne magique il y a pas mal d'années et je n'avais pas envie de le relire (et pourtant on me dit grand bien d'une traduction récente). Le texte m'avait plutôt plu, même si les longues discussions philosophico-politiques m'avaient complètement lassée.

Et donc, en lieu et place de Lübeck, c'est encore et toujours Venise qui rejoint Sous les pavés, les pages d'Athalie et Ingannmic.

Lecture commune autour de Thomas Mann lancée par Sibylline.

Première participation aux Feuilles allemandes d'Eva et de Patrice.






20 commentaires:

  1. je l'ai lu il y a longtemps, le souvenir n'est pas très précis

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    1. Pareil une relecture, plutôt agréable.

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  2. J'ai lu La montagne magique, il y a quelques années. Je suis contente de l'avoir fait mais, comme toi, je n'ai pas plus envie que ça de renouveler l'expérience. Il me semble avoir lu aussi Mort à Venise quand j'étais ado. Autant dire que je n'en garde aucun souvenir. Et surtout, en lisant ton billet, j'ai l'impression que j'avais du passer totalement à côté.

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    1. Le livre est petit et il ne s'y passe pas grand-chose (voir rien), donc c'est facile de l'oublier, je pense.

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  3. Ah lala j'ai lu ces Buddenbrook il y a longtemps, que ce fut ennuyeux! Rien à faire de ces gens là, comme toi. ^_^

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    1. Et tu as tenu bon ? C'est hyper plat, ennui abyssal.

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  4. J'ai tenté de suivre Sibylline dans sa lecture de La montagne magique (dans cette nouvelle traduction que tu évoques), mais je crois que ce n'était pas le moment. Je crois avoir lu cette Mort à Venise, qui figurait dans la bibliothèque de mes parents, mais je n'en ai gardé aucun souvenir. Cent pages, ça peut se relire, oui...

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    1. Ah donc la nouvelle traduction n'a pas d'effet magique sur la pauvre lectrice...

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  5. J'ai plutôt aimé les Buddenbrooks. Il y a des longueurs, mais j'ai apprécié ce tableau d'une époque et d'une classe sociale en déclin (son déclin ne m'ayant pas vraiment fait de peine, la famille étant peu attachante). La montagne magique m'effraie en revanche, donc si je dois lire un autre Thomas Mann, ce sera plutôt La mort à Venise...

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    1. Mais tu semble être la seule à avoir réussi à supporter cette famille !

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  6. Oui j'ai toujours trouvé ennuyeux moi aussi!

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  7. Ennuyeux! rien de pire! littérature bourgeoise!

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    1. (je suis morte de rire) (mais tu as raison)

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  8. J'ai malheureusement laissé passer cette rencontre autour de Thomas Mann que je n'avais pas notée. La nouvelle traduction de La Montagne magique est en effet excellente. L'occasion peut-être d'une relecture? ;)

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  9. Merci beaucoup pour cette première participation aux feuilles allemandes. Je suis heureux de lire que tu as été également sensible à cette histoire et à l'ambiance du livre. J'ai un bon souvenir des Buddenbrook, mais je suis l'un des rares apparemment quand je lis les commentaires sous ce billet :-)

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    1. Vous n'êtes pas légion manifestement en effet.

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  10. Même chose pou moi avec les Buddenbrook; par contre Mort à Venise, le livre et le film de Visconti m'ont passionnée. Quelle puissance dans les deux !

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  11. commentaire précédent : Claudialucia

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    1. Oui le livre est court et très puissant. Le film est plus chargé, tout en reflétant assez bien le roman.

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