Léa Veinstein, J'irai chercher Kafka. Une enquête littéraire, Flammarion, 2024.
Un récit sur les traces de manuscrits de Kafka.
D'abord le livre redonne vie à Kafka, plein d'esprit et d'humour, fin et sensible, plein de doutes et de rêves, mais aussi de certitudes. Il y a notamment son rapport à l'hébreu, au yiddish, à la judaïté et au sionisme (et aucun des mots n'est synonyme) : le livre se ferme presque sur le cahier d'apprentissage de l'hébreu.
Ce sont des mots écrits sur des feuilles volantes, d'une écriture déformée par la position allongée.
Moi, ce qui m'intéresse le plus, c'est le moment fondateur, ce pile ou face joué par Brod, qui aurait dû tout brûler et qui a fait tout le contraire, sans s'en cacher. Songez qu'à la mort de Kafka, aucun roman n'était terminé ni publié. Pas de Procès, pas de Château, mais uniquement quelques nouvelles. Cela aurait-il suffi à le faire connaître dans le monde entier ? À la création de l'adjectif « kafkaïen » ? à toutes les réflexions sur la littérature de la Mitteleuropa ? Je trouve qu'en général on s'intéresse trop peu à la matérialité de la littérature : quels textes nous sont parvenus (ou pas), dans quelles conditions, et pour quelles raisons. Et on oublie les adjuvants de la littérature, ceux grâce à qui le texte est là dans notre bibliothèque. À cet égard, Veinstein redonne toute sa place à Max Brod, qui est aussi un intellectuel israélien de langue allemande.
La suite est très intéressante, mais me touche peut-être moins. J'apprécie que Veinstein se sente en empathie avec les différents personnages de l'histoire : vieille femme se raccrochant aux derniers souvenirs de la vie en Europe, bibliothécaires enthousiastes, chauffeur de taxi voleur et sympathique... Le livre s'arrête hélas au 7 octobre 2023, car certains protagonistes rencontrés à Tel-Aviv ont été tués lors de ce pogrom – alors même que toutes les sœurs de Kafka ont été victimes du génocide des juifs pendant la guerre.
Les textes sont des sans-abris, ils migrent d'un imaginaire à l'autre. Ils n'appartiennent à personne : Kafka pourtant, écrivant cela, ignorait tout ce que ses propres manuscrits allaient vivre, ballottés d'un pays à l'autre, bousculés par la question de l'appartenance et le risque de l'appropriation.
| Vieira da Silva, L'Entrée du château ou Hommage à Kafka, 1950 privé |
Il y a aussi le beau portrait de Milena - Milena Jesenská.
Le livre retrace un parcours où rien n'est évident. Kafka est un écrivain de Prague, de l'Autriche-Hongrie ou de Tchécoslovaquie, mais de langue allemande, mais dont les manuscrits sont en Israël, mais aussi à Oxford, alors même qu'il ne voulait rien laisser.
Le soir du 14 mars 1939, alors que les troupes nazies sont au portes de Prague, Max Brod quitte son domicile dans la précipitation. Il se rend avec son épouse Elsa à la gare, ils montrent clandestinement dans un train qui les emmène vers la frontière polonaise. Leur destination est lointaine ; ils ont en poche leurs visas d'émigration pour la Palestine. Il n'a pris qu'une valise. Dans cette valise il n'a mis que deux choses : un peu d'argent, et l'ensemble des manuscrits de Kafka dans des enveloppes cartonnées. Il y a des pages des Journaux, des récits de voyage, des croquis, des lettres, des cahiers noirs. Sauvés, une fois encore – in extremis.
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