Isabelle Matamoros, Le Pouvoir des lectrices. Une histoire de la lecture au 19e siècle, 2025, CNRS éditions (qui a cru malin de mettre une reproduction de peinture du 18e siècle sur la couverture).
La cause est entendue, dira-t-on. On a tous lu (ou pas) Madame Bovary et on sait que les femmes se languissent dans les rêveries des romans et qu'elles font des tas de bêtises.
Matamoros étudie précisément le rapport que les femmes entretiennent à la lecture au 19e siècle. Elle s'appuie pour cela sur leurs propres témoignages, journaux intimes et correspondances, avec toutes les limites que comportent ces sources. Elle retrace ainsi tout une vie de lectrice, entre recommandations et convenances sociales, pratiques variables selon la classe sociale, la famille, la présence de frères, envies personnelles et contraintes diverses.
Il faut donc éviter de mettre sa fille trop tôt en présence d'hommes mais aussi soustraire à sa vue tout support qui pourrait l'instruire sur l'amour et la sexualité. Pour qu'elle arrive vierge au mariage, une jeune fille doit arriver aussi vierge de mauvaises lectures : la pratique de la bonne lecture passe par une maîtrise du corps et du désir.
Les spécialistes des maladies de femmes s'arrêtent à ces conseils généraux. Ils ne disent pas quels sont les bons livres à lire, puisqu'ils comptent pour cela sur la collaboration des familles. (…) D'ailleurs, une jeune fille convenable lit en présence des parents, dans le salon familial.
De l'apprentissage de la lecture : qui s'en charge ? Avec quels manuels ? Le poids de l'église catholique sur l'enseignement des filles, d'autant que les manuels d'orthographe et de grammaire des garçons ne sont pas deux des filles (mais les versions abrégées de Robinson Crusoé existent déjà). Et dans quel but ? Puisqu'elles ne feront pas d'études.
Lecture collective encore très répandue et lecture individuelle, dans sa tête et dans sa chambre. Lecture du journal (lequel ?) ou de romans – lesquels ? Walter Scott a beaucoup de succès. Mais surtout les livres de piété (renouveau de l'édition catholique). Il y a la liste des maladies (uniquement féminines) provoquées par la lecture excessive. Et une fois mariée, peut-on encore lire ?
Au 19e siècle, la femme est mineure. Elle ne fréquente pas seule les bibliothèques ou les cabinets de lecture. On remercie le Collège de France dont les cours étaient accessibles aux femmes. Qu'elle ne s'avise pas d'aller commander le livre qu'elle veut, car son choix ne sera sans doute pas correct au vu de son âge, de son sexe, de sa dignité, etc.
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| Dalou, Femme lisant, 1877, collection privée |
Dire ce que l'on lit est tout autant révélateur de nos lectures effectives que de notre positionnement à l'intérieur des hiérarchies sociales et culturelles. C'est d'autant plus vrai pour des lectrices qui, pour la plupart, parlent depuis une position périphérique par rapport au monde littéraire. (…) Lorsque Élisa Perrotin, modeste fille d'artisan, se présente dans ses mémoires comme une grande lectrice, ayant lu toute la production littéraire (ou presque) de son temps, elle fait un pas en direction d'un univers qui la fascine et qu'elle voudrait pénétrer. Qu'elle ait réellement lu tous ces livres importe moins que de comprendre ce que cela nous révèle du rapport d'une femme d'origine populaire au savoir et à la littérature. À l'opposé, le quasi-silence de l’aristocrate Soline Pronzat de Langlade, que l'on sait bien instruite, s'explique par le carcan moral qui l'empêche de trop se mettre en avant, sous peine de passer pour une pédante.
"Je vous recommanderai à l'un de nos bibliothécaires, il fera porter dans mon cabinet les livres dont vous aurez besoin ; et pendant les vacances prochaines, vous enverrez prendre par un commissionnaire tous les ouvrages que vous jugerez vous être nécessaires. Vous n'êtes pas encore d'âge à aller seule aux bibliothèques publiques."
Si le sujet vous intéresse, mais que vous avez la flemme, vous pouvez écouter l'autrice dans cette émission.
En 2015, Laure Adler et Stefan Bollmann ont fait paraître Les Femmes qui lisent sont dangereuses. Je ne l'ai pas lu, mais le propos semble fort différent puisqu'il s'agit d'un panorama des représentations au fil des siècles et non pas une étude historique précise des pratiques réelles de lecture.


Je sens que cette lecture va faire bondir moult lectrices?
RépondreSupprimer(je suis allée voir la couverture, sans pouvoir vérifier , j'aurais dit fin 18è?)(comme s'il n'y avait pas de tableaux du 19è ou même de photos?)
Sans vérifier, c'est un tableau de Vigée Le Brun, je n'ai pas besoin de petites lignes pour le voir !
SupprimerC'est l'histoire ordinaire du patriarcat et du sexisme, hélas, peu bondissant.