La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



vendredi 16 mars 2012

Les mots sont comme des gamelles creuses dont le fer ne fait résonner que du vide.


Laurent Mauvignier, Dans la foule, Paris, Les Éditions de Minuit, 2006.

Ce roman raconte le drame du stade du Heysel : la finale de la coupe d’Europe des champions, en 1985, entre l’équipe de Liverpool et la Juve de Turin. Ce jour-là le hooliganisme a fait 39 morts et des centaines de blessés.

Mauvignier entrecroise les voix et les récits. Celui de Geoff, venu de Liverpool, qui assiste au match avec ses frères aînés et leurs amis hooligans, des vrais, qui s’imbibent de bière, et jouissent de cette possibilité de laisser libre cours à leur violence. Geoff ne se sent pas comme eux, il fait semblant pour être avec ses frères mais ne se sent pas aussi heureux. Et pourtant, il était dans la tribune lui aussi, il a chanté, il a poussé les cris de guerre et couru… Est-ce que j’ai couru avec eux ? sera la question qui le taraudera longtemps.
Jeff et Tonino, deux français, supporters de la Juve parce que Tonino est d’une famille italienne. Ils viennent du Nord de la France comme ça, sans rien, sans hôtel, volent des billets et se rendent au stade. Ils rigolent, ils se sont bien débrouillés, ils vont voir le match.
Il y a Gabriel et Virginie, les Bruxellois à qui on a volé les billets, qui veulent se venger, qui auraient dû être à la place de Jeff et Tonino.
Et Francesco et Tana, un couple italien en voyage de noces à qui on a offert des billets pour le match.
Ils racontent les uns après les autres.
Il s’agit d’un roman très fort, aux mots violents et émouvants. J’ai beaucoup apprécié la langue de Mauvignier, avec cet entrecroisement des personnes et des voix qui permet de rendre à la fois la folie de la foule et l’émotion d’un individu. Je suis plus critique sur la structure et notamment la longueur, puisque qu’une grande partie du roman est consacrée aux monologues de Tana après le drame : c’est assez pénible, à cause de la longueur mais aussi parce que sa douleur est très bien rendue. Disons que cela peut être ressenti comme oppressant.

V. Balocchi, W La Juve, Italie, vers 1955. 
Florence, Museo di Storia della Fotografia Fratelli Alinari,
image RMN.
Et moi je suis comme vous ; j’aime que vous aimiez la victoire des matches ; j’aime voir quand papa se crispe devant la télévision, quand j’entends son souffle qui se précipite et quand, après le match, au moment où la tension retombe mais qu’elle reste encore dans l’air, et qu’on voit sur la table les canettes et le cendrier plein, la nappe de fumée au-dessus des têtes, et Pellet [le chien] qui a vomi quelques os de poulet et ses croquettes de viande près de sa vieille couverture marron, ce moment toujours reconduit, infaillible et répété à l’envie – c’est le moment où mon père va sa racler la gorge en ouvrant une canette de bière pour téléphoner à Doug et à Hughie, afin que l’un après l’autre ils commentent le dribble, la beauté d’un contre de Rush, l’évidence d’une passe de Dalglish.


L'avis de La Lettrine.


Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

N’hésitez pas à me raconter vos galères de commentaire (enfin, si vous réussissez à les poster !).