Gustave Flaubert, L’Éducation
sentimentale, 1869.
J’ai relu (re-relu plutôt) L’Éducation
sentimentale. Le fil du récit est
connu : le héros, Frédéric Moreau, est un fils de famille à Paris. Il
tombe amoureux de Mme Arnoux, qu’il considère comme inaccessible. Homme de peu
de caractère, il passe sa vie en projets sans rien réellement vivre, traversant
sans les voir la révolution de 1848 et la IIe République.
Il lui envoya un regard où il avait tâché de mettre toute son âme ; comme s’il n’eût rien fait, elle demeura immobile.
J’en avais gardé des souvenirs
confus. Je me souvenais très bien d’une promenade avec Rosanette dans la forêt
de Fontainebleau et j’ai retrouvé avec plaisir ces pages, évocations de la
nature, souvenirs d’heures heureuses. D’ailleurs j’aime plutôt bien Rosanette,
tant méprisée par Frédéric. Quant aux événements politiques, j’avais un souvenir
brouillon et confus, cela persiste même si ma compréhension historique s’est
améliorée.
Le personnage principal n’a rien
de très attachant et le lecteur est pris dans l’ennui de sa vie. Il n’y a pas
d’éducation, son caractère semble tracé dès le début. C’est à double tranchant.
On sait que Flaubert voulait faire un livre sur rien et il a réussi, au point
où l’on peut se demander à quoi bon continuer sa lecture (ce roman est d’un tel
vide !) si ce n’est pour tomber enfin sur ces magnifiques phrases :
Il voyagea.
Il connut la mélancolie des
paquebots, les froids réveils sous la tente, l’étourdissement des paysages et
des ruines, l’amertume des sympathies interrompues.
Il revint.
Les imparfaits de l’indicatif
peuvent faire bailler mais un charme un peu envoûtant se dégage de ce roman, en
partie parce qu’il contient plein d’airs connus : « Leurs yeux se
rencontrèrent », « la tête de veau », « C’est là ce que
nous avons eu de meilleur ! »… je vais appeler ça le syndrome Flûte
enchantée, ce plaisir pris à reconnaître
des morceaux connus.
En revanche, j’avais un souvenir
totalement inexact de l’évolution de la relation entre Frédéric et Mme Arnoux,
je l’avais figée et m’étais imaginée que Mme Arnoux ne s’apercevait même pas de
l’amour de Frédéric. Je ne sais pas pourquoi mais en réalité la dame est bien
plus sensible.
Capellaro, Flaubert, 1895,
château de
Versailles, image RMN.
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La véritable héroïne est bien
évidemment la langue française. Mots rares et précis, phrases banales et idées
reçues, rythme de phrase étudié comme une mécanique. Les personnages ont des
sentiments convenus mais tout est exprimé de façon unique – à la Flaubert.
On peut se moquer d’eux mais
chacun peut se reconnaître dans cette banalité et souffrir de cette moquerie –
est-ce que l’on n’a pas, chacun, en soi du Frédéric Moreau ? L’ironie de
Flaubert investit chaque mot et virgule, égratigne héros, ouvriers et
aristocrates, bourgeois et cocotte, lecteur et écrivain.
Petite note : le motif du
portrait de l’enfant mort sera repris par Zola dans L’œuvre.
Il s’était arrêté au milieu du
Pont-Neuf, et, tête nue, poitrine ouverte, il aspirait l’air. Cependant, il
sentait monter du fond de lui-même quelque chose d’intarrissable, un afflux de
tendresse qui l’énervait, comme le mouvement des ondes sous ses yeux. À
l’horloge d’une église, une heure sonna, lentement, pareille à une voix qui
l’eût appelé.
Alors, il fut saisi par un de ces
frissons de l’âme où il vous semble qu’on est transporté dans un monde
supérieur. Une faculté extraordinaire, dont il ne savait pas l’objet, lui était
venue.
Mon billet sur Madame Bovary. L'avis de Jimmy qui, lui, a trouvé Frédéric "attachant".
Je l'ai lu quand j'étais au lycée. Je me souviens que ça m'avait pris 3 mois et que j'avais l'impression que je n'en verrais jamais le bout...
RépondreSupprimerJe me dis qu'il faudrait que je réessaye Flaubert, mais je ne m'en sens pas trop le courage.
Alors que moi je suis en pleine vague flaubertienne... un bonheur !
RépondreSupprimerJ'aime beaucoup L'Education sentimentale, c'est mon préféré de Flaubert. C'est, à mon très personnel avis, du Modiano, et j'adore Modiano ! Et puis on y retrouve tant de Proust aussi ...
RépondreSupprimerTu me donnerais presque envie de le relire mais pas trop envie en ce moment ! Je suis davantage tentée par Zola mais qui sait ? Tout arrive, tout revient et une belle écriture fait du bien parfois...
RépondreSupprimerGrillon : je me doutais un peu que tu aimais Flaubert et notamment celui-ci. Mais je ne connais pas encore Modiano, malheureusement.
RépondreSupprimerAspho : Zola attendra que j'ai lu tout Balzac - il n'est pas pressé.