La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



mardi 29 avril 2014

Ce ne sont pas des nuages, c’est la couleur du ciel blessé par la violence du vent.


Jean Giono, Ennemonde et autres caractères, 1968.

Tout petit livre où la Haute-Provence tient tout entière.
À travers l’histoire de la vie d’Ennemonde, énorme femme édentée, et de ses amours mûrement choisies, Giono raconte précisément le mode de vie dans les fermes de cette région à l’écart des routes. Chaque montagne, chaque vallée, les maisons de pierres sèches, le vent, l’odeur du cochon, les bruits… Comme une histoire de paysan, il y a des boucles et des détours, on détaille l’histoire du voisin et celui de l’huissier, et on détaille la foire et les saisons, avant d’en revenir à Ennemonde, maîtresse femme dans un monde où on décide soigneusement à l’avance de sa vie.

Dans si peu d’espace et avec si peu de gens, on est forcé de rencontrer toujours les mêmes. D’autant plus qu’eux sont de grand format.

L’être humain vit parmi les plantes et les animaux, il n’y a pas de réelle différence entre eux, il est immergé dans un univers qui le dépasse et qui s’impose à tous les êtres vivants.

Il ne s’agit pas du printemps des poètes. Aussi bien, on ne voit pas trop ce qu’Ennemonde pourrait faire, maintenant, avec des prairies émaillées de fleurs et le chant des oiseaux et autres fariboles.


C’est un monde humainement violent. On adopte un comportement tranquillement à l’écart des lois mais qui respecte les lois sociales de la région, lois imposées par un climat rigoureux, une pauvreté répandue, un mode de vie dur. Cela peut sembler cruel, mais les gens parlent peu – il n’y a pas de dialogue chez Giono – et pas de psychologie. Si Colline passait par l’intermédiaire d’un drame familial, l’histoire d’Ennemonde est aussi l’histoire de sa région et de sa transformation.

Qu’on soit promis au saucisson ou à la résurrection, la mort est le moment précis où le naturel revient au galop.


Les mots de Giono sont précis, il prend son temps et pourtant le récit est dense, sans rien de gratuit ou inutile. La description des animaux (notamment d’une couleuvre ou d’un serpentaire) peut être clinique. Chaque élément a une présence puissante.

Le ciel est transparent. L’air enivré. Le vent fait dans les sapins le bruit de la mer. L’herbe se couche, la lavande tremble. Des tuiles cliquettent comme si quelqu’un marchait sur le toit. Le vent fait sonner la profondeur des citernes. Les chemins fument, les hêtres s’agitent, les bouleaux se balancent, les peupliers scintillent, le vent court dans les herbes comme un renard. L’arche des murs sifflote. Les loquets dansent dans leurs gâches. Les volets arrêtés frappent sur leurs crochets ; une porte d’étable grince. De la paille vole. Le vent roule des blocs d’étourneaux comme un torrent des blocs de serpentine.


Photos de Fontienne, M&M.

10 commentaires:

  1. Je n'ai lu que le Hussard. Je note ce titre...

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  2. La citation que tu notes en titre de ta chronique est tout particulièrement magnifique !

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  3. Je serais ravie de vous convertir à Giono, ses descriptions du vent notamment sont magnifiques !

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  4. J'ai toujours beaucoup aimé le peu que j'ai lu de Jean Giono, il faut dire que je savoure !

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  5. La phrase de ton titre est superbe, tu me donnes une furieuse envie de relire Giono : celui-ci pas de souvenir, je note mais j'avais adoré Regain et deux ou trois autres dont les titres m'échappent ! Mais je n'en ai aucun dans ma biblio, bizarre, encore des disparitions dues aux déménagements...

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    1. Je note : offrir un des 60 romans de Giono à l'amie Asphodèle...

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  6. tiens je ne connais pas ce roman de Giono, je le note :)

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  7. C'est un des romans de Giono que je préfère et un des premiers lus

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    1. Pourtant il n'a pas l'air très connu, tu es forte !

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