La vraie vie, la vie enfin découverte et éclaircie, la seule vie par conséquent réellement vécue, c'est la littérature.



lundi 19 mai 2014

Je veux être ordinaire et normale ; je veux sortir de cette atmosphère compliquée.


Doris Lessing, Le Carnet d’or, traduit de l’anglais par Marianne Véron, parution originale 1962.

Un gros roman passionnant, mais pas facile à lire. Et pour en parler…

Au début du livre, on fait connaissance avec Molly et Anna, deux intellectuelles, tendance communiste, qui ont choisi de ne pas se marier (on est à Londres à la fin des années 50). Elles ont des amants, des ex-maris et chacune un enfant. Puis l’histoire se concentre sur Anna.
Anna a écrit un roman qui a obtenu du succès quelques années auparavant et elle peut vivre grâce à cet argent. Elle prend des notes presque chaque jour dans quatre carnets de couleur différente. Nous lisons ses carnets en alternance avec le récit de son existence.

Les moments que je me rappelle ont tous cette assurance absolue d’un sourire, d’un regard, d’un geste sur un tableau ou dans un film. Suis-je alors en train de dire que la certitude à laquelle je m’accroche appartient à l’art visuel et non au roman – pas du tout au roman, conquis par la désintégration et l’effondrement ? Quel intérêt un romancier éprouverait-il à s’accrocher au souvenir d’un sourire ou d’un regard, alors qu’il connaît bien les complexités qui s’y dissimulent ?
Doris Lessing en 2009. Image Wiki.
Nous plongeons ainsi dans ses souvenirs d’une jeunesse anglaise en Afrique (en Rhodésie !), son militantisme communiste, ses peines de cœur, ses notes pour un utopique prochain roman, des coupures de journaux…
Le roman n’est pas facile à lire car il y a une alternance entre 5 récits principaux qui se ressemblent, Anna s’inspirant de sa vie et de ses souvenirs pour projeter ses romans. Il y a aussi de nombreuses considérations théoriques (d’ordre politique ou psychologique, parce qu’Anna suit aussi une psychanalyse) qui ne sont pas ma tasse de thé. Et la langue n’est pas légère, légère.

Qu’est-ce que cette sécurité et cet équilibre qui sont censés nous faire tant de bien ? Qu’y a-t-il de mal à vivre notre vie émotionnelle au jour le jour dans un monde comme le nôtre, qui se transforme si vite ?

Mais c’est extrêmement intéressant pour plusieurs aspects.
Tout d’abord, la question des femmes. Molly et Anna ne sont pas mariées, mais sont courtisées par tous les hommes mariés qui se sont lassés de leur bobonne. Les mâles ne valent pas cher dans ce monde hautement sexiste et misogyne, tandis que la solitude des femmes est sans borne. Le roman évoque ce monde avec dureté, sans commisération, mais avec humour.

Ces mots me touchèrent, car j’ai l’impression que la moitié de nos actes et de nos tentatives se réduisent à des bons points pour un avenir que nous tentons d’imaginer.



C’est aussi le monde de la Guerre froide. Anna fréquente les milieux communistes, adhère au Parti, en démissionne, reste dans sa sphère. Le roman évoque de façon très réaliste les enjeux, les illusions, les déchirures de ces années sur fond d’indépendances africaines et de maccarthysme, de paranoïa généralisée et de prises de position codifiée
Enfin, plus subtilement, le roman dit beaucoup sur la création littéraire, par le mécanisme complexe des carnets, et c’est ce qui m’a le plus intéressée !

Je suis à nouveau exaspérée de savoir que mon cerveau contient tant de choses enfermées, hors d’atteinte à moins d’un déclic dû au hasard, comme celui d’hier.


Si ma lecture fut longue et ardue, je dois dire que je me suis souvent reconnue dans le personnage d’Anna, ou ses alter ego littéraires, même si la réalité psychologique des personnages est insaisissable. Ils nous parviennent par fragment, par éclat de voix. Et cette fragilité sonne si juste ! 

Elle l’avait toujours su : je suis tellement épuisée, si profondément, fondamentalement épuisée jusque dans la moindre fibre, que je suis presque soulagée à l’idée de n’avoir plus à surmonter la difficulté de vivre.

Un livre compliqué, que je pense relire dans plusieurs années


P. S. Si votre conjoint a des ennuis psychiatriques, évitez la lecture de la fin du livre.




8 commentaires:

miriam a dit…

lu dans les années 70 dans la grande période féministe, un pue oubllié (normal 40 ans) il faudra que je le relise

Alex Mot-à-Mots a dit…

Un roman qui a l'air très riche.

Maeve a dit…

Ce livre, très autobiographique, est considéré comme son chef-d'oeuvre. Elle a mis des années pour l'écrire et je veux bien te croire quand tu dis que la lecture n'en est pas aisée. Je lis le volume 1 des Enfants de la Violence (par intermittence, vu l'épaisseur) mais je trouve la lecture facile, le roman d'ambiance d'une certaine époque en Afrique du Sud. Merci pour ton billet !

Tania a dit…

Avec quelle ferveur je l'ai lu, ce "Carnet d'or" et puis tous les autres, une voix de femme qui parlait de tout - la vie familière, l'amitié, les hommes, la politique, la famille, l'écriture... - des "Femmes libres". Ce billet me donne fort envie de le relire, le livre est d'ailleurs debout, de face, dans ma bibliothèque, pour me rappeler d'y revenir.

nathalie a dit…

Oh il y a des fans ! Je savais que ce serait ardu, mais j'avoue que c'est vraiment très riche, dense et intéressant. Comme Miriam, je m'y remets dans une quarantaine d'années !

maggie a dit…

Je me demandais si j'allais acheter un roman de cet auteur que je ne connais pas encore. Il faut que j'en lise au moins un ....

Anonyme a dit…

Je me promets de le lire depuis des lustres et tu as été plus courageuse que moi car ce que tu dis de la difficulté de lecture ne m'étonne pas. Mais il y a des livres qu'il faut lire malgré tout !

nathalie a dit…

J'aurais juré que tu l'avais déjà lu ! une féministe comme toi. J'avoue qu'il est difficile de se faire une opinion de ce livre, même si certains passages sont réellement passionnants.